L’ISLAM EN QUESTION : PAIX, OU AFFRONTEMENT ?

Le Coran conduit-il les musulmans à la violence ?

La réponse politiquement correcte, vous la connaissez : « Non, le Coran comme l’islam ne sont que paix et tolérance. » Mais quand on le lit sans préjugés, la réalité est tout autre : oui, ce texte est intrinsèquement violent.

Né du Coran, l’islam est-il condamné à l’affrontement ?

Pendant 40 ans, j’ai travaillé en historien sur les origines du christianisme, ces deux ou trois générations de la fin du 1er siècle qui ont donné naissance à la civilisation occidentale. C’était naturel, puisque je suis né et j’ai grandi dans un monde chrétien. En revanche je ne suis pas un historien de l’islam, immense civilisation, multiple et complexe, qui n’est pas la mienne. Malgré le titre je ne vous parlerai donc pas de l’islam, mais uniquement de son texte fondateur, le Coran.

Pourquoi, après le christianisme, me suis-je intéressé au Coran ?

Au cours de mes travaux, j’avais découvert l’existence d’une secte juive peu connue dont Jésus aurait fait partie, les nazôréens. On ne sait rien d’eux à son époque, mais on sait que les tout premiers chrétiens ont d’abord été appelés nazôréens.

J’ai eu la surprise de voir réapparaître ces nazôréens dans le Coran, sous leur transcription arabe, nasârâ. Y aurait-il un lien historique entre les nazôréens du 1er siècle, et le Coran qui apparaît à la fin du 7e siècle ?

J’ai tiré ce fil, et toute la pelote est venue.

Mais comment procéder ? Les musulmans d’hier et d’aujourd’hui se heurtent à une barrière infranchissable : il leur est interdit d’étudier le Coran comme n’importe quel autre texte ancien, avec les méthodes de l’exégèse historico-critique qui ont fait leurs preuves. Pour eux, le Coran est descendu du ciel, fidèlement transmis au monde par le Prophète Muhammad. Chaque mot est la parole de Dieu lui-même. Matériellement, grammaticalement, le Coran est de nature divine, et on ne soumet pas Dieu à l’examen critique. Les rares érudits musulmans qui s’y sont risqués ont été assassinés, torturés ou exilés.

Alors, je me suis tourné vers quelques chercheurs de haut niveau, tous d’origine chrétienne, et donc libres d’appliquer au texte du Coran la méthode de critique historique qui a permis aux chrétiens de porter sur la Bible un regard nouveau. Depuis un siècle les travaux de ces chercheurs non-musulmans, inconnus du public, transforment complètement la compréhension du Coran et des débuts de l’islam.

Ces travaux, j’ai voulu les ramasser en peu de mots, de façon lisible malgré la complexité du sujet : c’est mon livre Naissance du Coran, aux origines de la violence.

Donner au public non spécialisé des clés de lecture, ouvrir des portes.

Ce petit livre permet de mieux comprendre quelques uns des drames qui ont secoué et secouent toujours la planète : pourquoi tant de violence au nom d’Allah, et pourquoi cet affrontement inexpiable entre l’Orient né du Coran, et l’Occident né du christianisme ?

Sans parler des Juifs, épine plantée au cœur des musulmans.

 

Mais revenons aux nazôréens du 1er siècle.

Ce qu’on sait d’eux, c’est qu’ils étaient judéo-chrétiens. C’est-à-dire qu’ils n’étaient plus Juifs, puisqu’ils considéraient que le Messie était venu en la personne de Jésus, mais ils n’étaient pas non plus chrétiens, puisqu’ils refusaient sa transformation en Dieu. Pendant les premiers temps du christianisme, ces judéo-chrétiens se sont opposés à la fois aux Juifs et aux chrétiens dont ils se séparaient, puis ils ont disparu, tous, au 3e siècle.

Tous… sauf les nazôréens. Saint Jérôme les a rencontrés à la fin du 4e siècle en Syrie, d’où il écrit à saint Augustin : « Ces gens veulent être à la fois Juifs et chrétiens, mais ils ne sont ni Juifs, ni chrétiens. »

Ni Juifs, ni chrétiens : c’est la définition des nazôréens. Opposés par nature à la fois aux Juifs dont ils ont rejeté la tradition, et aux chrétiens qu’ils refusent de suivre.

Au début du 7e siècle, la Syrie était presque entièrement chrétienne. Les nazôréens que saint Jérôme a rencontrés s’y étaient réfugiés pour fuir la persécution des Juifs et des chrétiens de Byzance. Ils s’étaient attachés à convertir à leur judéo-christianisme particulier des bédouins Arabes, sédentarisés dans la région côtière autour de Lattaquié.

Pendant ces six siècles de sommeil, ils s’étaient imprégnés du messianisme, une idéologie née dans le peuple juif exilé à Babylone en 587 avant J.C., et devenue flamboyante au tournant du 1er millénaire – c’est-à-dire à l’époque où vivait Jésus.

Dans mon livre, je résume la dérive de ce messianisme flamboyant dont on ne savait pas grand-chose, avant la découverte en 1947 des Manuscrits de la Mer Morte dans les falaises surplombant Qumrân, le haut-lieu des Esséniens. L’idéologie dont témoignent ces manuscrits, rédigés un peu avant et pendant le 1er siècle, est d’une extrême violence. Elle a profondément influencé les nazôréens – et à travers eux les Arabes qu’ils catéchisaient en Syrie, au début du 7e siècle.

Ce messianisme repose sur 3 piliers, qui n’ont pas changé jusqu’à aujourd’hui :

1- Utopique, il rêve du retour à un monde disparu, meilleur que celui-ci.

2- Apocalyptique, ce retour se fera par une guerre d’extermination, menée au nom de Dieu.

3- Messianique, il attend le retour d’un homme providentiel, le Messie sauveur.

La guerre, et la guerre totale, était pour eux le seul chemin offert à l’humanité pour qu’elle retrouve sa pureté, celle du paradis perdu par la faute d’Adam. Affamés de purification, ces messianistes divisaient l’humanité en deux : nous, les croyants qui ont reçu de Dieu la mission de dominer le monde, pour le purifier des autres, les incroyants.

Lesquels devront soit se convertir à notre vision du monde et aux lois qui en découlent, soit disparaître physiquement.

Voici un passage du Règlement de la guerre, texte essénien retrouvé à Qumrân : « L’extermination des nations impies est décidée. Sur les trompettes de la tuerie on écrira : ‘’Main puissante de Dieu dans le combat, pour faire tomber tous les infidèles ! ’’ Sur nos étendards on écrira ‘’Moment de Dieu, tuerie de Dieu’’, et après le combat on écrira ‘’Dieu est grand ! ’’ »

« Dieu est grand », en arabe Allah ou’akbar. C’est le cri de ralliement des musulmans, et c’est en le poussant que des fanatiques tuent ou se font tuer au nom d’Allah. Cette violence, elle leur vient des Esséniens, disparus en l’an 70 mais dont les écrits ont profondément influencé les nazôréens qui ont lancé, bien plus tard, des Arabes sur les pistes du désert.

Mais, me direz-vous, le Coran n’est pas né en Syrie ! Tout le monde sait qu’il a été révélé à un visionnaire arabe de La Mecque, le Prophète Muhammad  qui n’a fait que répéter ce qu’il entendait du ciel ! Eh bien, c’est là que la recherche indépendante sur le Coran a cueilli ses premiers fruits. En montrant que tout ce qu’on dit et qu’on enseigne de Muhammad, de sa vie et de ses débuts à La Mecque, ne relève pas de l’Histoire mais de légendes construites un ou deux siècles après sa mort, par des historiographes au service des premiers califes de l’islam naissant, à Jérusalem d’abord puis à Damas et à Bagdad.

L’ambition de ces califes était politique. Pour transformer leurs conquêtes militaires en civilisation triomphante, ils avaient besoin – comme toute civilisation – d’un mythe fondateur. À partir d’un guerrier arabe, qui a bien existé mais dont on ne sait pas grand chose, ils ont donc forgé la personne du Prophète de l’islam, Muhammad.

Exactement comme les premières générations chrétiennes, pour fonder le christianisme, avaient forgé un Messie à partir d’un homme, Jésus.

Y a-t-il des éléments historiquement fiables dans la légende de Muhammad, construite par la Sirâ (Histoire officielle de l’islam), les Hadîths (paroles du Prophète) et la Sunna (ensemble de la tradition musulmane) ? Actuellement, il est impossible de répondre à cette question. Il faudra attendre que des chercheurs travaillent sur de nouvelles bases, et cela prendra du temps. Je m’en suis donc tenu strictement au texte du Coran tel qu’il nous est parvenu, laissant de côté l’ensemble des traditions séculaires à travers lesquelles les musulmans d’aujourd’hui se doivent de lire et de comprendre leur texte fondateur.

Le premier problème que j’ai rencontré était celui de la langue. Le Coran est écrit dans un arabe archaïque du 8e siècle, très différent de l’arabe parlé aujourd’hui. Une langue tellement étrange, si pleine de points de suspension et d’allusions obscures, que personne ne s’accorde sur le sens de nombreux passages. J’ai donc examiné six traductions françaises pour en choisir finalement quatre autres qui font autorité, et sont accompagnées d’un appareil critique important, à la fois linguistique et historico-littéraire. J’ai confronté l’une à l’autre chacune de ces traductions pour m’approcher du sens le plus vraisemblable, indiquant en note les différences d’interprétation qui justifient mes choix.

Ensuite, il y a la structure de ce texte, qui ressemble à un puzzle dont on aurait jeté les pièces au hasard sur une table. Voici ce qu’en disait le grand savant et philologue musulman Al-Kindi, cent ans après la mort du Prophète : « La conclusion est évidente pour quiconque a lu le Coran et vu de quelle façon, dans ce livre, les récits sont assemblés n’importe comment et entremêlés. Il est évident que plusieurs mains – et nombreuses – s’y sont mises et ont créé des incohérences, ajoutant ou enlevant ce qui leur plaisait ou leur déplaisait. »

« Plusieurs mains, et nombreuses » : comme toute œuvre littéraire, le Coran n’est pas né de rien, il n’est pas descendu du ciel. Il a une histoire, que seule l’exégèse historico-critique permet de comprendre.

Aucune logique donc dans ce texte, un fouillis inextricable. Tous ceux qui ont tenté d’y mettre de l’ordre ont dû y renoncer. Dans son état actuel le Coran est un peu comme un océan, on s’y plonge sans savoir d’où viennent, ni où vont les courants qui le traversent.

Soit on surnage, soit on s’y perd et on s’y noie. J’ai tenté de surnager.

Ce qui frappe, c’est que le Coran est d’une très grande beauté littéraire. D’où lui vient ce souffle, cette musicalité perceptibles même pour ceux qui ne le comprennent pas – c’est-à-dire la grande majorité des musulmans, pour qui cette langue si particulière est encore plus incompréhensible que ne l’était le latin d’Église pour les chrétiens ?

D’où vient la beauté du Coran ?

Il faut revenir à ses premières esquisses, c’est-à-dire au 7e siècle, en Syrie, dans ces communautés et ces monastères où des nazôréens catéchisaient des Arabes.

Pour leurs élèves, ils composaient des florilèges de textes tirés de la Bible, ou plutôt de l’une ou l’autre de ses versions talmudiques. Le Talmud est un immense commentaire de la Bible, écrit par des rabbins autour du 5e siècle après J.C. Ces textes, les nazôréens les psalmodiaient ou les chantaient devant les Arabes qu’ils voulaient convertir. « Coran » vient du verbe Quara’a, qui veut dire « réciter » : avant d’être écrit, le Coran a été récité et chanté dans des assemblées liturgiques, d’où sa beauté, sa musicalité entrainante.

La Bible du Coran n’est donc pas celle que nous connaissons, c’est la Bible du Talmud et de ses commentaires. De même que les évangiles que cite le Coran ne sont pas les nôtres : on les appelle apocryphes, ils sont remplis de légendes sur Jésus et sa mère, et ont été écartés quand l’Église a choisi de n’en retenir que quatre, jugés plus fidèles à la personne et à l’enseignement de Jésus.

Une Bible enjolivée par les rabbins du Talmud, des évangiles folkloriques et fantasmagoriques : ajoutez d’obscures légendes du désert, des allusions incompréhensibles à des divinités ou à des coutumes locales, et vous avez la moitié du Coran.

L’autre moitié, c’est tout un code de lois médiévales, mélangé à des appels véhéments au combat et à l’extermination, que j’appelle les versets brûlants.

Ces versets exigent des croyants qu’ils combattent contre les forces du Mal. Un combat messianique c’est-à-dire sans merci, sans rémission, qui durera tant qu’il y aura sur terre des infidèles qui refusent de se soumettre au Coran – et au pouvoir des califes.

Car pour les messianistes, religion et pouvoir n’ont jamais fait qu’un. Dans une communauté messianique, tout appartient à Dieu, corps, âmes et biens, le passé, le présent comme l’avenir. Notre laïcité, héritage du siècle des Lumières, est incompatible avec le Coran. Il ne distingue pas le matériel du spirituel, tout revient à Allah. Il veut accoucher d’un Homme Nouveau, dans une société totalement soumise à une Loi divine. Dans un monde purifié des démons de l’Occident chrétien. Boko Haram veut dire « enseignement interdit » – entendez : « enseignement occidental. »

Évidemment, pour la majorité des musulmans qui ne sont ni extrémistes, ni fanatiques, ces appels au meurtre de masse qui parcourent le Coran posent question : c’est le djihâd, le combat pour Dieu.

Pour rendre le Coran acceptable, on a donc cherché à distinguer deux sortes de djihâd : le petit djihâd, qui serait la violence du combat armé, et le Grand Djihâd qui serait le combat intérieur, celui de l’âme contre les tentations du démon. Une immense littérature a été écrite à ce sujet, dès le Moyen-âge, mais c’était oublier que le Coran puise ses sources dans le messianisme apocalyptique de ses origines. Pour que le monde retrouve la pureté du paradis perdu, une guerre d’extermination est nécessaire. C’est la seule façon de le purifier des forces du Mal incarnées par l’infidélité des Juifs et des chrétiens. Comme dans les écrits guerriers de Qumrân dont s’inspiraient les nazôréens, le djihad du Coran n’est pas un traité de spiritualité, c’est un chemin de violence et de sang.

Pour lancer les Moudjahidin au combat et à la mort, le Coran a dû reprendre une notion apparue dans le judaïsme au 2e siècle avant J.C., celle du martyre pour Dieu. Ceux qui se font tuer dans la guerre sainte menée pour la purification du monde, le djihâd, sont assurés d’aller au paradis. Et s’ils tuent ou massacrent, ils ne commettent pas un péché : « Quand tu lances ta flèche, dit le Coran, ce n’est pas toi qui lances la flèche, c’est Allah qui la lance. » Autrement dit, quand des Moudjahidin se font exploser en public, ils vont au paradis et ne sont pas responsables de la mort des innocents : « Ce n’est pas toi qui as tué, c’est Allah qui a tué. »

Quelques siècles plus tard, saint Bernard, Docteur de l’Église catholique, reprendra exactement les mêmes termes dans sa Règle aux Templiers, pour les appliquer aux combats des chevaliers du Christ lancés dans des croisades contres les musulmans impies. Vous voyez que les chrétiens n’ont pas de leçons à donner aux musulmans.

Car bien avant le Coran, l’idéologie messianique avait infesté le christianisme. On la trouve déjà dans des textes du Nouveau Testament comme l’Apocalypse dite de saint Jean ou l’Épître aux Hébreux. À partir de cette origine, le messianisme a évolué dans une direction commune à la chrétienté et au Coran, faisant couler des fleuves de sang sur la planète.

Rappelez-vous les trois piliers du cette idéologie : l’utopie, un monde nouveau à faire naître. L’apocalypse, ce monde ne naîtra qu’au prix d’une guerre d’extermination. Et le retour d’un homme providentiel, le Messie.

Rapidement, le Coran va abandonner le troisième pilier, l’attente d’un Messie personnel. Il va affirmer que le Messie est déjà venu, il est là, et c’est la Communauté des vrais croyants, l’Oumma – nom par lequel les musulmans se désignent. Et il va dire à ces croyants : « Vous êtes la meilleurs Oumma réalisée par Dieu pour les hommes », verset du Coran qui est devenu la devise de la Ligue Arabe basée au Caire.

Je retrace dans mon livre ce glissement, dans le Coran, de l’attente d’un Messie personnel vers l’affirmation que ce Messie est arrivé, et c’est une communauté impersonnelle mondiale, l’Oumma musulmane. D’ailleurs la profession de foi musulmane, « il n’y a de Dieu qu’Allah et Muhammad est le prophète d’Allah », ne mentionne plus l’attente d’aucun Messie.

Le drame, c’est que le christianisme a subi la même évolution. Théoriquement, les chrétiens attendent toujours le retour du Messie sauveur. Mais dans les faits, c’est l’Église qui est devenue pour eux le seul lieu du salut sur terre. Elle a repris à son compte et popularisé l’enseignement de saint Cyprien de Carthage (3e siècle) : Extra Ecclesiam nulla salus, hors de l’Église pas de salut.

Depuis lors et jusqu’à maintenant, sur la planète  ce n’est pas au choc des civilisations que nous assistons : c’est au choc de deux messianismes. D’un côté « hors de l’Église pas de salut », et de l’autre « la meilleure Oumma réalisée par Dieu pour les hommes. »

Deux communautés-Messie qui ne pouvaient que s’affronter, qui s’affrontent toujours.

Les musulmans se trouvent donc dans une impasse mortelle, et nous avec eux. Leur immense majorité n’aspire qu’à la paix et ne se joint pas aux Moudjahidin fanatiques. Mais les uns comme les autres, les fanatiques comme les braves croyants pacifiques, tous invoquent le même texte fondateur devenu sacré, intangible et même intraduisible : le Coran.

On nous répète à longueur de médias la Pensée Politiquement Correcte : « Surtout, pas d’amalgame ! Ne confondez pas une poignée d’islamistes fanatiques avec les bons musulmans ! » Comme Tariq Ramadan, qui déclarait récemment : « Les islamistes prétendent que les musulmans sont dans la vérité, et tous les autres dans l’erreur. C’est une distorsion complète du message de l’islam. » (1)

De l’islam, peut-être. Du Coran, certainement pas.

Et quand il ajoute « il faut que les responsables musulmans condamnent fermement [cette idée] », c’est de l’hypocrisie. Car ces responsables ne peuvent pas condamner la violence des djihadistes, puisque que le texte du Coran est là, avec ces versets brûlants qui appellent les croyants à l’extermination des infidèles, et entretiennent depuis 13 siècles le feu sur la planète.

Comprenez bien : la violence du Coran ne réside pas d’abord dans ces versets brûlants. Si le Coran est violent, c’est avant tout parce qu’il sépare l’humanité en deux portions inconciliables, qui ne peuvent que s’affronter : ceux qui sont soumis à Allah-et-son-Prophète, et les autres – tous les autres.

Pendant 17 siècles, des chrétiens ont pratiqué exactement la même violence, à la fois idéologique et physique. Et pour la même raison, un messianisme entretenu par la lecture fondamentaliste de la Bible. Ils n’ont pu faire la paix en eux-mêmes et avec le reste de l’humanité (celle qui était « hors de l’Église »), puis entrer sans crainte dans la modernité, qu’à partir du jour où ils ont enfin accepté de lire et de comprendre leurs textes fondateurs à la lumière de l’exégèse historique et critique. C’est ce tournant idéologique qui leur a permis, non sans réticences, de faire un tri dans la Bible. Pour ne retenir que le meilleur du message des prophètes et de Jésus lui-même. Sans plus se sentir concernés par les appels à la violence qui parcourent la Bible et trouvent, comme le Coran, leur origine dans le messianisme flamboyant.

Jésus vivait au moment où ces textes ravageurs étaient mis par écrit et se diffusaient autour de lui. J’ai découvert qu’il était parfaitement au courant de l’idéologie messianique dont ses disciples étaient imprégnés, comme tous les Juifs d’alors. Cette idéologie, il l’a clairement et explicitement rejetée.

Jamais il n’a prétendu être le Messie attendu par les Juifs. Toujours, il s’est situé dans la continuation du mouvement prophétique initié par le prophète Élie.

J’ai mis en scène ce choix décisif dans mon dernier roman, Jésus, mémoires d’un Juif ordinaire. Ce n’est qu’après sa mort qu’il a été transformé en Messie, par les judéo-chrétiens de Jérusalem que côtoyaient les nazôréens. En franchissant ce pas, ils ont légué à la planète un lourd fardeau. Car faire du christianisme un mouvement messianique, c’était introduire dans la civilisation chrétienne en train de naître, puis plus tard dans le Coran, une utopie aux conséquences dramatiques : la nécessité, et la justification, des guerres d’extermination pour Dieu.

Cette idéologie judéo-chrétienne violente et conquérante, elle est l’utérus dans lequel le Coran a pris naissance et s’est développé.

Ensuite, le messianisme a poursuivi sur la planète sa carrière meurtrière. Au 20e siècle, il a inspiré deux idéologies totalitaires : le communisme, pour qui le Messie était la classe des travailleurs, qui l’emporterait sur la classe possédante en supprimant le capital et ceux qui en profitent. Et le nazisme, pour qui le Messie était le Herrenvolk, le peuple aryen des Seigneurs qui devait l’emporter en anéantissant les races inférieures.

Mais ce feu brûle toujours aujourd’hui. « L’Empire du Mal » : cette expression, écrite en toutes lettres dans les textes de Qumrân, vous l’avez entendue comme moi dans la bouche du Président des États-Unis. Les fondamentalistes américains (2), messianistes chrétiens, ont pris le pouvoir avec George W. Bush pour lancer, selon ses propres mots, une « croisade contre l’Empire du Mal. »

Depuis 2000 ans, rien n’a changé.

Les connaisseurs me reprocheront d’aller un peu vite aux conclusions : c’est possible, mais ils trouveront dans les notes de mon livre les références à mes sources, et les justifications de ce que j’affirme.

En fin de parcours, j’aborde enfin quelques questions brûlantes. La naissance de la première société totalitaire, à laquelle on assiste dans le Coran. Ce sont les califes qui ont esquissé les contours de la première police politique, surveillant une population interdite de penser et de s’exprimer. Cette réglementation qui asservit les croyants, hommes et femmes, ce sont bien les cours califales qui l’ont élaborée, en l’attribuant au Prophète.

J’ai tenté enfin de comprendre d’où venait l’antiféminisme agressif qui parcourt le Coran. Comment les califes ont-ils pu s’éloigner du judaïsme et du christianisme, au point d’introduire dans ce texte un mépris, on pourrait presque dire une haine des femmes, absente du judaïsme, du christianisme et des sociétés patriarcales de l’Antiquité ?

Il y a deux façons d’aborder un texte sacré : comme un monument qu’on ne visite qu’à genoux, face contre terre. Ou bien comme l’aboutissement d’une Histoire, et le commencement d’une autre.

C’est en apprenant à lire la Bible de façon exigeante, à la fois critique et respectueuse, que les chrétiens ont pu récemment s’apaiser, et accepter l’autre sans haine ni complexes.

Puissent les musulmans, dont la culture a pris naissance dans la même tradition, puissent-ils trouver, avec un regard nouveau porté sur leurs origines, le chemin de la paix.

D’abord en eux-mêmes, et ensuite avec le reste de l’humanité.

                                                                 (Conférence donnée en Bourgogne, juin 2014)
P.S. : Je m’absente, et ne pourrai répondre à vos commentaires & messages qu’après le 29 juin

(1) Dans Le Point du 15 mai 2014.

(2) Voyez dans ce blog la catégorie « Les américains et la religion », et le mot-clé « messianisme »

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« NAISSANCE DU CORAN » : la critique d’un académicien

Un ami, mathématicien de haut vol et académicien, m’écrit ceci :

« J’ai dévoré ton livre en 2 jours (il est court.) Même si on ne souscrit pas à tes hypothèses, on y apprend plein de trucs. Bravo ! »

Je lui réponds cela :

Ce n’est pas à toi que j’apprendrai ce que c’est qu’une hypothèse. C’est une piste de travail, un chantier qu’on ouvre.

Si d’autres confirment cette hypothèse. Si, après l’avoir vérifiée, ils s’en emparent pour la prolonger. Si, travaillant  chacun de leur côté, ils parviennent tous à la même conclusion… alors, l’hypothèse se transforme en certitude.

Mais en science il n’y a pas de certitude définitive, et l’Histoire n’échappe pas à cette règle (cliquez).

Pour écrire Naissance du Coran, pendant des années j’ai confronté les travaux de chercheurs indépendants (c’est-à-dire non-musulmans.) Mises en perspective, leurs hypothèses se validaient l’une l’autre, et une vue d’ensemble se dégageait.

C’est cette vue d’ensemble que je propose au lecteur.

Non pas comme une théorie, une de plus. Mais pour l’aider à poser les bonnes questions, l’inciter à réfléchir.

Dans les 400 notes qui accompagnent ce texte court, tu trouveras toutes mes sources.

Si le cœur t’en dit, vérifie toi aussi.

Tu seras sur le chemin des vérités provisoires, mais indispensables pour comprendre ce qui se passe sur notre planète depuis que le Coran est né, il y a 13 siècles.

Bonne route !

M.B., 10 mai 2014

 

 

 

NAISSANCE DU CORAN : secrets de fabrication

Mon livre Naissance du Coran vient de paraître.

NAISSANCE CORAN 1COUV

Il y a 15 ans, j’avais découvert l’existence d’une obscure secte judéo-chrétienne, les Nazôréens. On ne sait rien d’eux à l’époque de Jésus (cliquez), mais ils refont surface aux 4e et 5e siècles, puis disparaissent de nouveau.

J’ai eu la surprise de les voir ressurgir dans le Coran sous leur transcription arabe, nasârâ. Y aurait-il donc un lien historique entre les nazôréens du premier siècle, et la naissance du Coran ?

J’ai tiré ce fil, et toute la pelote est venue.

On sait que les érudits musulmans se heurtent à une frontière qu’il leur est interdit de franchir : étudier le Coran comme n’importe quel autre texte ancien, le soumettre au feu de la critique historique. Ce sont quelques chercheurs occidentaux de haut niveau, peu connus du public, qui s’y sont mis depuis un siècle. Laissant de côté la légende officielle qui fait du Coran un texte descendu du ciel, ces chercheurs lui appliquent les méthodes rigoureuses de l’exégèse historico-critique, qui ont fait leur preuve pour la Bible.

Le résultat, c’est une version des origines de l’islam très différente de la Pensée Unique, celle des orientalistes et de la tradition musulmane.

Dans Naissance du Coran, je ne prétends pas faire œuvre originale. J’ai voulu proposer au grand public la synthèse de ces travaux, difficiles d’accès par leur complexité. Ouvrir des avenues sans trahir la rigueur des chercheurs, dégager des perspectives.

Plutôt que d’ajouter aux leurs des centaines de pages techniques, résumer les travaux de mes prédécesseurs de façon fluide, agréable à lire.

Malgré la complexité du sujet, être aussi clair que possible.

Donner au lecteur des clés, provoquer son interrogation, l’inciter à la réflexion.

Les connaisseurs m’accuseront d’aller, un peu vite, aux conclusions ? Il se peut, mais le lecteur trouvera en notes toutes mes sources, qui lui permettront de vérifier ce que j’affirme.

Qui renouvelle complètement notre compréhension des débuts de l’islam. Et de ce qui s’en est suivi, jusqu’à aujourd’hui.

Puisse ce petit livre vous aider à mieux saisir quel est l’enjeu caché des drames auxquels nous assistons chaque jour, depuis si longtemps.

Et si, en le refermant, vous vous posez plus de questions qu’avant – si vous posez, enfin, les bonnes questions -, je n’aurai pas perdu mon temps.

                                                     M.B., 5 mai 2014

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Le livre de Michel Benoît sur le Coran vient de paraître

Vient de paraître :

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« J’ai lu votre livre avec passion : il est extrêmement excitant pour l’esprit.

« La reconstruction de la genèse du Coran que vous proposez est très stimulante.

« Un jour ou l’autre, le nécessaire débat sur la naissance de l’islam aura lieu, comme il a eu lieu, depuis un siècle et demi, sur la genèse du christianisme.

« Votre livre pourrait marquer d’une pierre blanche cette évolution, comme l’a fait en son temps le Jésus de Renan, dont il a la limpidité, la clarté et l’élégance. »

(Roland Portiche, réalisateur de l’émission Secrets d’Histoire de Stépnane Bern.)

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Bonne lecture !

                                                             M.B., 3 mai 2014

 

LA ‘’RÉSURRECTION’’ EN QUESTIONS – Après l’émission de Stéphane BERN

Mon intervention dans l’émission de Stéphane Bern Secrets d’Histoire, « Un homme nommé Jésus » a suscité quantité de réactions sur Facebook. J’y réponds sommairement ici en vous renvoyant à ce que j’ai publié par ailleurs.

 I. Jésus et ses apôtres

Quand elles parlent des suiveurs de Jésus, les traditions les plus anciennes conservées dans les évangiles n’emploient jamais le mot apôtre. C’est Luc, vers l’an 80, qui projette dans le passé son idéal d’une direction collégiale de l’Église en employant l’expression « les douze apôtres (1). »  À peu près au même moment, Matthieu reprend à son compte cette rétroprojection nostalgique d’une communauté parfaite (2). Sauf ces deux cas, l’expression « les douze apôtres » est absente des synoptiques (3).

Dans L’évangile du treizième apôtre, j’ai identifié le témoignage le plus ancien qui nous soit parvenu sur Jésus. Ses compagnons n’y sont jamais appelés apôtres, mais disciples. C’est Paul et les Actes qui appellent « apôtres » certains dignitaires de l’Église, dont quelques femmes. Ce qualificatif leur conférait une légitimité et une autorité incomparables, il n’a été  associé aux disciples de Jésus que bien après sa mort.

Ont-ils été de vrais disciples ? Non, au contraire tout montre que de son vivant ils n’ont pas compris le message en paroles et en actes de Jésus, et il leur reproche vivement leur incompréhension. D’ailleurs lorsqu’il est reconnu par une servante dans la cour du grand prêtre, Pierre nie solennellement et par deux fois avoir été un disciple de Jésus (4).

Ce sont ces hommes qui ont pris le pouvoir spirituel en utilisant le souvenir du rabbi galiléen. Il se devait d’être un surhomme, et – comme tous les héros de l’antiquité, d’Orphée à Mithra – d’avoir franchi victorieusement l’épreuve de la mort.

On avait trouvé son tombeau vide à l’aube du 9 avril 30 ? Eh bien, c’est qu’il s’était ressuscité lui-même.

 II. Le tombeau vide

Pour comprendre ce qui a pu se passer, il faut connaître avec précision le contexte de l’époque. Je l’ai décrit dans Dieu malgré lui et vous renvoie à cette enquête dont je résume ici quelques conclusions.

Jésus meurt dans la soirée du 7 avril. C’est le début de la fête de Pâque, pour éviter une impureté majeure on dépose provisoirement son cadavre dans un tombeau proche. Comme tous les tombeaux juifs, c’est une cavité fermée par une lourde pierre circulaire. Au centre, une table où l’on dépose les corps en attendant leur décomposition, pour placer définitivement les ossements dans les niches creusées dans la paroi.

Au matin du 9 avril, des femmes trouvent la pierre roulée de côté et deux hommes en blanc qui tentent de leur parler. Effrayées, elles s’enfuient et viennent raconter aux disciples qu’elles ont vu « deux anges » à côté du tombeau. Pierre et Jean courent, voient la pierre roulée et entrent dans le caveau. On dispose ici du témoignage visuel, indiscutable, de l’auteur du noyau initial du 4e évangile dit de saint Jean : le cadavre a disparu de la table, les bandelettes qui l’enveloppaient gisent pêle-mêle mais le suaire placé sur le visage a été soigneusement plié et mis de côté. Ils ressortent, disent aux femmes qu’elle ne sont que des radoteuses et doivent trouver, dans l’urgence, une réponse aux questions dont on va les assaillir : qu’est devenu le cadavre de Jésus ?

Leur réponse ne tardera pas : Jésus est ressuscité.

Reprenons les témoignages indiscutables.

1 La pierre a été trouvée roulée sur le côté. Si Jésus s’était ressuscité comme un « corps subtil », capable de traverser les murs, pourquoi aurait-il eu besoin de rouler la pierre pour sortir du tombeau ? Et s’il est ressuscité dans son corps de chair, comment a-t-il pu, de l’intérieur et gravement blessé, rouler une pierre qui pèse plus d’une tonne ?

Conclusion : quelqu’un, ou plutôt quelques uns, ont roulé la pierre pour pénétrer dans le tombeau. Qui ?

2- Deux hommes en blanc sont vus par les femmes devant l’ouverture, et ils leur parlent. On sait que les esséniens revêtaient une tunique blanche pour accomplir leurs actes rituels. Qu’il y avait entre eux et Jésus une complicité – bien qu’il n’ait jamais fait partie de leur secte. Et qu’ils enterraient leurs morts à part – quitte à transporter les cadavres d’un cimetière commun pour le ré-inhumer dans une de leurs nécropoles.

Ils n’ont pas voulu que ce crucifié qu’ils admiraient finisse comme les autres dans la fosse commune : ce sont eux qui sont venus rouler la lourde pierre et enlever le cadavre à l’aube du 9 avril, afin de l’inhumer en terre pure. Pour cet acte éminemment religieux, ils avaient revêtu leur tunique blanche.

3- Le linge de tête (le suaire) a été vu soigneusement plié et mis de côté. Pourquoi Jésus aurait-il pris la peine de faire le ménage dans son tombeau avant de le quitter ? En revanche, les esséniens ont eu ce geste de respect.

L’hypothèse la plus vraisemblable est donc que des esséniens ont sorti le cadavre du tombeau avant que les femmes n’arrivent. Des milliers de pèlerins campaient autour de Jérusalem, mais on avait l’habitude de les voir transporter des cadavres pour les enterrer en terre pure, dans leurs nécropoles.

C’est dans l’une de ces nécropoles que se trouvent toujours les restes de ce Juste injustement crucifié, auquel les esséniens ont voulu rendre un dernier hommage.

 III. Inutile résurrection

Dans un article de ce blog (cliquez), j’ai montré que la résurrection de Jésus était une supercherie inutile. Elle ne pouvait naître qu’en milieu juif : dans leur culture, la mort met un terme final à la vie. Mais dans d’autres cultures comme l’hindo-bouddhisme, la mort n’existe pas. « Rien ne disparaît, tout se transforme » : la mort n’est qu’un passage vers une autre forme de vie, soit une renaissance, soit le nirvâna c’est-à-dire une forme de vie éternelle, dans un autre espace-temps que le nôtre.

Jésus était parvenu à un haut niveau de réalisation humaine et spirituelle. Il n’a pas eu à renaître pour mener à terme cette montée vers l’Éveil, que nous accomplissons tous douloureusement. Il n’a jamais cessé de vivre, sa mort n’a été que le passage – le parinirvâna – d’une forme de vie humaine à une forme de vie dont nous ne savons rien, sinon qu’elle nous attend nous aussi.

Une fois inscrite dans les esprits, la résurrection – devenue un miracle unique et exceptionnel – a permis au christianisme de bâtir et de justifier l’édifice intellectuel sur lequel notre culture s’est construite.

                                                             M.B., 17 avril 2014
 (1) Luc 6, 13 et Actes 1, 26.
(2) Matthieu 10, 2 : « Voici les noms des douze apôtres »
(3) Synoptiques : les 3 évangiles de Marc, Matthieu et Luc.
(4) Jean 18, 17 et 25.

NAISSANCE DU CORAN (III) : le grand fourre-tout

Lisez le Coran, vous constaterez que ce texte n’a ni queue ni tête. Ses 6325 versets semblent avoir été assemblés – ou plutôt désassemblés – comme un puzzle dont les pièces auraient été éparpillées au hasard sur une table. Un mélange de citations bibliques (mais la Bible du Coran n’est pas notre Ancien Testament), de récits sur Jésus (ils n’ont rien à voir avec nos évangiles), de lois sur la vie quotidienne… le tout truffé d’allusions obscures à des mythes disparus et à des batailles introuvables.

Or, comme nous l’avons vu (cliquez), pour l’islam l’auteur du Coran n’est personne d’autre que Dieu lui-même. Serait-il doté d’un esprit brouillon, mélangeant tout, incapable d’une pensée cohérente ?

La question s’est posée très tôt. Au 8e siècle, le grand philologue irakien Al-Kindi écrivait : « La conclusion est évidente pour quiconque a lu le Coran et a vu de quelle façon, dans ce livre, les récits sont assemblés n’importe comment et entremêlés. Il est évident que plusieurs mains – et nombreuses – s’y sont mises et ont créé des incohérences, ajoutant ou enlevant ce qui leur plaisait ou leur déplaisait. »

Plusieurs mains, et nombreuses : lesquelles ?

Pour répondre à cette question il m’a fallu remonter au 5e siècle avant J.C., époque à laquelle des Hébreux exilés à Babylone ont mis par écrit la Bible telle que nous la connaissons. Pour arriver au 7e siècle après J.C., quand l’empire Byzantin s’affrontait à l’empire Perse au Moyen-Orient : des Arabes sédentarisés en Syrie ont utilisé cette période troublée comme une fenêtre de tir pour réaliser un rêve qu’ils avaient fait leur, reconquérir Jérusalem et y reconstruire le temple détruit par Titus en l’an 70.

C’est dans ce contexte que le Coran a pris naissance.

Moins d’un siècle plus tard, ces Arabes avaient conquis une grande partie du bassin méditerranéen. Pour transformer cette conquête militaire en civilisation conquérante, il fallait à la fois créer un mythe fondateur et unifier par des lois communes les peuples conquis. Ce fut l’œuvre des califes de Jérusalem, de Damas puis de Bagdad.

Alors, tout s’éclaire. Le Coran est l’écho de la volonté de ces califes, qui façonnèrent à la fois la légende fondatrice et les lois de leur Empire en train de naître.

Plusieurs mains, et nombreuses : ce sont celles des califes, ou plutôt des historiographes et des théologiens auxquels ils confièrent la mission d’amplifier et de corriger – à partir d’une matrice judéo-chrétienne – un texte qui deviendrait sacré.

Nous sommes bien documentés sur ces premiers califes de l’islam, mais dans l’état actuel de la recherche il est impossible de distinguer dans le texte du Coran ce qui vient de l’un ou de l’autre, d’attribuer tel passage à tel calife plutôt qu’à tel autre. Cette recherche n’est toujours pas libre dans le monde musulman : pour l’instant, seuls quelques chercheurs de haut niveau, d’origine chrétienne, ont pu s’y mettre. Ce sont leurs travaux, restés confidentiels, que j’ai tenté de synthétiser de façon claire dans mon livre à paraître, Naissance du Coran.

Les musulmans sont donc aujourd’hui dans la situation où se trouvaient les chrétiens au début du 19e siècle, quand quelques protestants ont mis en œuvre l’exégèse historico-critique de la Bible. Avec le double résultat que l’on connaît : d’abord l’apaisement, puisque les croyants pouvaient enfin séparer les aspects les plus guerriers et intolérants de la Bible du message des prophètes, puis de Jésus lui-même. Ensuite l’entrée dans la modernité, puisqu’ils ne prenaient plus à la lettre les lois et les préceptes de civilisations antiques et cruelles.

Puisse ce petit livre aider les descendants des Arabes du 8e siècle à trouver, avec un regard nouveau posé sur leurs origines, le chemin de la paix.

Et nous avec eux.

                NAISSANCE DU CORAN, aux origines de la violence

À paraître prochainement.

                                                            M.B., 13 avril 2014

 

NAISSANCE DU CORAN (II) : une langue incompréhensible ?

Fin avril va paraître un livre sur le Coran, et celui-là n’est pas comme les autres.

En 140 pages, j’ai voulu synthétiser un siècle de recherche indépendante de façon claire, simple, compréhensible.

Voulant en avoir le cœur net, vous achetez une des nombreuses traductions françaises du Coran. Par curiosité, vous comparez cette traduction avec une autre, et les ennuis commencent : ces traductions divergent, et pas seulement sur des points de détail. Pourquoi ?

Au début du 7e siècle, il n’existait pas de littérature arabe (1). Soudain au 8e siècle, apparût un texte, écrit dans une langue d’une grande beauté, qui n’avait aucun antécédent littéraire – fait unique dans l’histoire de la littérature mondiale. Les musulmans considèrent donc sa naissance comme un miracle : le Coran aurait été dicté au Prophète tel qu’il est conservé au ciel, de toute éternité, sur une « Table gardée. »

Pour les Juifs, sur le sommet fulgurant du Sinaï Moïse aurait reçu la Torah sur des tables écrites par le doigt de Dieu. Si le Coran avait été lui aussi écrit par Allah, il aurait été créé comme le reste de l’univers. Mais pour les musulmans, le texte du Coran n’a jamais été créé.

Comme Allah lui-même il est divin, c’est un Verbe incréé. (2)

C’est pourquoi le Coran affirme que « nul autre qu’Allah ne connaît l’interprétation du Coran. » (3) Parce qu’il est de nature divine,  parce que c’est un attribut divin, il participe à l’infini d’Allah et on peut lui reconnaître une infinité de sens.

Traduire le Coran est donc chose impossible, ce serait dire dans une langue autre que la sienne ce que Dieu a dit dans sa propre langue – une langue aussi impénétrable qu’Allah lui-même. C’est pourquoi la traduction wahhabite, patronnée par l’Arabie Saoudite, s’intitule Le Saint Coran, traduction en langue française du sens de ses versets.

Une traduction ne peut que s’approcher du sens du Coran. En choisissant un seul sens, le traducteur trahit l’infinité de ses significations.

Dans la Postface de Naissance du Coran, je résume les travaux des chercheurs qui aboutissent à une tout autre conclusion. La langue du Coran serait issue de l’araméen, langue-soeur de l’hébreu, d’abord adoptée par des Arabes sédentarisés en Syrie et peu à peu transformée par eux au contact des parlers arabes qui étaient les leurs.

Si l’on veut, on peut dire que la langue du Coran est un araméen dialectisé par des Arabes à la fin du 7e siècle, dans le Croissant fertile.

Un arabe du 7e / 8e siècle est aussi éloigné de l’arabe moderne parlé dans les rues d’Alger ou de Rabat que le Roman de la Rose ou Rabelais sont éloignés du français parlé aujourd’hui à Paris. Oui, c’est de l’arabe (comme Rabelais est du français) mais bienheureux qui peut dire qu’il le comprend à livre ouvert.

Ses auteurs pouvaient être fiers d’eux, puisqu’ils avaient inventé une langue pour parler de Dieu et à Dieu, dont le Coran affirme qu’elle est « inimitable. » Et en effet, personne aujourd’hui ne la parle ni ne la comprend sans l’aide de spécialistes, qui souvent ne s’accordent pas sur le sens des mots et des tournures.

En Indonésie, au Pakistan, en Iran ou en Afrique sub-saharienne, les écoliers des madrasas apprennent par cœur et récitent un texte auquel ils ne comprennent rien. Même si leur langue natale était l’arabe, ils ne comprendraient pas car l’arabe qu’ils utilisent chaque jour est très éloigné de l’arabe coranique. Ils articulent et récitent des sons privés de sens, mais qui ont pour eux une valeur sacramentelle puisqu’ils sont divins en eux-mêmes.

Se posait alors à moi un problème : comment étudier un texte dont je ne comprends pas la langue originale ? J’ai donc comparé six traductions françaises avant d’en adopter finalement quatre autres, établies par des arabisants reconnus. Les 140 pages de Naissance du Coran comptent près de 400 citations du texte, j’en donne les références en indiquant (quand il y en a) les variations de traduction, et les justifications fournies par les traducteurs. Les versions de Masson, Berque, Blachère, Grosjean sont confrontées à chaque fois qu’elles divergent, travail complété quand c’est utile par les travaux de Bonnet-Eymard, Gallez, Hamidullah.

Vous n’aurez sans doute pas la patience de faire ce travail : il m’a permis d’approcher au plus près d’un texte devenu sacré, émanation divine qui met périodiquement le feu à la planète depuis 13 siècles.

                  NAISSANCE DU CORAN, aux origines de la violence

                                          À paraître fin avril.

                                                M.B., 10 avril 2014

(1) La « poésie préislamique » pose question.

(2) De même, pour les chrétiens Jésus est la Parole de Dieu incarnée.

(3) Coran 3, 7.

 

 

PAS D’AMALGAME ! Bons et mauvais musulmans (I)

« Surtout, pas d’amalgame ! Ne confondez pas une poignée de fanatiques avec la majorité des musulmans, qui sont tolérants et pacifiques. » C’est la pensée politiquement correcte, qui nous est assénée à longueur de medias par les politiciens et officiels de l’islam en France.

Pourtant, la réalité est là, et elle dérange. Car si la majorité des musulmans européens est en effet paisible et intégrée, une minorité de plus en plus nombreuse, de plus en plus bruyante, est extrêmement agressive et réclame (ou impose) des pratiques et une identité en contradiction totale avec nos valeurs occidentales, morales, familiales, citoyennes et politiques.

Fanatiques et croyants apaisés ont un point en commun : tous se réclament du Coran. Comment les musulmans peuvent-ils, avec la même et unique référence, être à la fois pacifiques et violents, tolérants et intolérants, ouverts au dialogue et totalitaires ?

Avant d’être abattu par le RAID, Mohammed Merah affirmait « s’être radicalisé en prison, tout seul, en lisant le Coran. » Qu’y a-t-il dans ce texte, qui peut conduire un jeune français au meurtre et à l’immolation ? Le problème c’est donc bien le Coran, la façon dont il est compris et peut être utilisé par les uns ou par les autres, avec des résultats diamétralement opposés.

C’est cette constatation qui m’a poussé à écrire un court essai,  Naissance du Coran, aux origines de la violence, qui paraîtra fin avril.

Dix années de travail, deux ébauches abandonnées pour parvenir à cet essai.

J’ai repris et synthétisé les travaux de chercheurs de haut niveau, peu connus du public, certains parus récemment. Ces chercheurs, je les appelle « indépendants » car ils se situent délibérément en-dehors de la Pensée Unique, celle qui s’aligne aveuglément depuis mille ans sur la légende fondatrice de l’islam. Ils appliquent au texte du Coran la méthode historique et critique qui a permis aux chrétiens de lire la Bible autrement que ne le faisait leur tradition, trouvant l’apaisement et s’ouvrant à la modernité.

Cette lecture historico-critique du Coran, elle est interdite aux musulmans, et ceux qui s’y sont risqués ont été sévèrement châtiés. Parce qu’elle remet en cause le dogme fondateur de l’islam : « Le Coran a été dicté au Prophète par Dieu. Son texte est matériellement, grammaticalement, la parole de Dieu lui-même. On ne  »critique » pas les paroles de Dieu. »

Ce dogme, il a longtemps été partagé par les chrétiens. La Bible juive et les évangiles étaient la parole de Dieu, on devait les recevoir et les lire littéralement. Depuis Origène, on concédait qu’une lecture allégorique de la Bible était possible : cette lecture, qui voyait dans les passages les plus difficiles du texte sacré une allégorie à interpréter, a permis l’élaboration de dogmes de plus en plus baroques, qui pouvaient tous se réclamer de la Bible en tirant d’elle des conclusions qui n’avaient pas grand-chose à voir avec son texte.

Au 19e siècle, les protestants ont commencé à lire la Bible autrement, en la replaçant dans son contexte historique et en utilisant des outils linguistiques performants. Et ce n’est qu’en 1943 que les catholiques ont été autorisés à en faire autant, adoptant sans réserve l’exégèse historico-critique de la Bible.

Une ère nouvelle s’ouvrait, on pouvait enfin faire le tri entre l’enseignement des prophètes ou de Jésus, et le maquillage ajouté par les milieux juifs ou chrétiens pour des raisons essentiellement politiques : prendre ou conserver le pouvoir idéologique.

Sous forme d’essais ou de romans, tous mes ouvrages sont nés de cette nouvelle approche des textes. Ils déconcertent les traditionalistes, mais montrent la voie d’une refondation de notre culture occidentalo-chrétienne. Que cette ouverture ne puisse pas se traduire dans une réforme en profondeur de l’Église, c’est une autre question.

Ce travail gigantesque, les musulmans ne l’ont pas encore commencé, et les « Nouveaux Penseurs de l’islam » s’arrêtent à son seuil. Le Coran reste le texte sacré, intouchable, qui ne peut être critiqué et doit être lu à travers une tradition politiquement correcte.

En proposant une synthèse des travaux récents de ces chercheurs « indépendants » j’ai voulu ouvrir des portes, au risque d’être mal compris par des croyants sincères pour qui le Coran est une référence intouchable. C’est pourtant à eux que ce petit livre est destiné, comme à tous ceux qui s’étonnent de la violence dont font preuve les islamistes.

Dans une série d’articles à venir, je reprendrai quelques-uns des obstacles que j’ai rencontrés, quelques-unes des hypothèses proposées par la recherche.

« La vérité vous rendra libre », disait l’auteur du 4e évangile. Sa recherche patiente, humble, laborieuse, est la condition de la paix intérieure et sociale.

             NAISSANCE DU CORAN, aux origines de la violence.

À paraître fin avril.

                                                 M.B., 9 avril 2014

 

VALLS MÉLANCOLIQUE…

À mes lecteurs affamés d’art, puis-je chanter l’un des plus beaux poèmes de Baudelaire ?

             Voici venir les temps où vibrant sur sa tige

            Chaque fleur s’évapore ainsi qu’un encensoir ;

            Les sons et les parfums tournent dans l’air du soir

            Valls mélancolique et langoureux vertige !

 

            Chaque fleur s’évapore ainsi qu’un encensoir ;

            Le violon frémit comme un cœur qu’on afflige ;

            Valls mélancolique et langoureux vertige !

            Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir.

                        … Le soleil s’est noyé dans son sang qui se fige.

(Charles Baudelaire, Harmonie du soir)

Le langoureux vertige de Valls se figera-t-il dans un ciel triste et beau comme un soleil qui se couche ?

                         M.B., cœur qu’on afflige, 2 avril 2014

 

ÉGLISE CATHOLIQUE, L’IMPOSSIBLE RÉFORME

Le nouveau pape va-t-il réformer l’Église catholique ? Séduites par sa personnalité, des chaînes de télévision nous offrent de nombreux reportages sur ce thème. Ainsi d’Arte, ce soir, qui titre Les défis de l’Église, « poussée à la réforme par une majorité de fidèles et une partie du clergé : le chef de l’Église écoutera-t-il les contestataires ? »

Réforme ? Quelle réforme ? On nous dit que « la famille et tout ce qui relève de la sexualité et de la reproduction est au cœur des inquiétudes du Vatican qui… affirme haut et fort ses positions en matière d’avortement et de contraception. »

Ainsi, c’est sur les formes d’expression de la sexualité que se porte une fois de plus l’attention des médias.

Rideau de fumée qui masque la vraie question, celle des dogmes fondateurs de l’Église et principalement celui de la Trinité.

Car depuis un siècle et demi, le patient travail des exégètes a mis en lumière la véritable personnalité du rabbi galiléen. Lequel n’a jamais prétendu être un dieu, n’a voulu être rien d’autre que le continuateur du mouvement prophétique juif initié par Élie, dont il se réclame explicitement. Continuer et accomplir le prophétisme juif – c’est-à-dire le dépasser sans l’abolir. Le porter à maturité en le corrigeant, sans renier l’essentiel de cet héritage.

Qu’est-ce que Jésus apporte de nouveau au prophétisme juif ? Je vous renvoie aux Mémoires d’un Juif ordinaire, où je montre qu’il n’apporte aucune nouvelle doctrine sur « Dieu ». Son Dieu est celui de Moïse, mais il propose une nouvelle relation avec ce Dieu qu’il appelle abba, petit papa chéri.Et cela change tout.

Ce qui change ce n’est pas « Dieu », mais le regard porté sur « Dieu ». Jésus n’est pas un théologien, il ne propose aucun dogme nouveau. Il fait part de la relation qui est la sienne avec « Dieu » : non plus un juge lointain et terrifiant, auteur de lois contraignantes qui empêcheraient de vivre, mais un père aimant jusqu’à tout pardonner, pour ouvrir ses bras à l’enfant prodigue. Les trois paraboles de Luc 15 sont le sommet d’une anti-théologie qui a traversé les siècles parce qu’elle n’est pas dogmatique, mais relationnelle.

La morale sexuelle, la contraception, l’avortement ? Jésus n’en dit rien. Sa morale familiale ? C’est celle du judaïsme traditionnelle. L’homosexualité ? C’est Paul de Tarse qui la condamne, en des termes qui posent d’ailleurs question sur sa propre clarté à ce sujet.

Car pour Jésus, la morale découle de la relation nouvelle qu’il propose avec son abba. « Fais cela, et tu vivras ».

La seule vraie réforme de l’Église serait de revenir à l’enseignement de Jésus en mettant abba au centre de tout. Ce serait signer son arrêt de mort, car il n’y aurait plus ni sacrements (Jésus n’en a institué aucun), ni autre morale que la lutte contre tout ce qui empêche les enfants prodigues que nous sommes de nous jeter dans les bras d’un père aimant.

Le pape François ne peut que maintenir et protéger les dogmes fondateurs de l’Église qui l’a élu pour cela. Peut-être aura-t-il le courage de réformer les finances d’une institution compromise par la corruption, de dénoncer et de punir les débordements sexuels de son clergé. Mais attendre de lui qu’il réforme une morale sexuelle et familiale qui porte la marque de 17 siècles de tradition, même si elle n’a rien à voir avec l’enseignement de Jésus (1), c’est se faire illusion.

Numquam reformata, quia numquam reformanda, jamais réformée parce qu’elle n’a pas à être réformée, c’est la devise de l’Église catholique.

                                               M.B., 1er avril 2014

(1) Vous trouverez dans ce blog des articles sur ce sujet (catégorie « La question Jésus »), articles mis en situation dans mon livre Jésus, mémoires d’un Juif ordinaire.