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ET LE SOCIALISME, si ça marchait ?

Si le socialisme ça marchait, je serais socialiste depuis longtemps. Vous aussi sans doute, et toute la planète.

Le travail et les richesses équitablement partagés, la fin des patrons rapaces, le pouvoir à ceux qui produisent et non aux fainéants qui en profitent, une société où chaque individu – devenu centre du monde – serait récompensé en fonction de ses mérites. Où l’État assisterait les plus faibles au lieu de laisser l’impitoyable sélection naturelle les engloutir… Qui refuserait ce merveilleux programme ? Aucun être humain digne de ce nom.

Or – c’est l’historien qui parle – le socialisme, ça ne marche pas.

Hélas.

 Le christianisme, antisocial ?

La première tentative de socialisme intégral nous est bien connue, c’était à Jérusalem, peu de temps après la mort de Jésus. Les disciples, autoproclamés apôtres, décidèrent que les adeptes de la nouvelle religion mettraient tout en commun. L’échec fut tel, qu’il fallut d’urgence organiser dans l’Empire une collecte de fonds pour soutenir la communauté de Jérusalem en faillite. Et l’on vit naître un clergé, les anciens pêcheurs du lac, dont le niveau de vie s’éleva brusquement. Devenus oisifs, ces apparatchiks percevaient l’impôt volontaire des travailleurs et en disposaient à leur guise, sans autre contrôle qu’un vague programme de redistribution.

Je vous renvoie à l’article Le premier programme de Gauche dans ce blog, où vous trouverez les détails.

Ensuite, l’Église créée par les apôtres s’accommoda du capitalisme, en devint le promoteur, le principal acteur et bénéficiaire. François d’Assise fut une parenthèse immédiatement fermée par son successeur à la tête de son Ordre. Et quand des franciscains dissidents, les Dolciniens, voulurent rappeler à l’Église l’urgence du partage et de la pauvreté, ils furent condamnés par l’Inquisition. Qui extermina ensuite par le feu d’autres égalitaristes chrétiens, les Vaudois et les différentes sortes de Cathares.

Luther voulait réformer cette Église ? Mais il soutint les Princes allemands dans leur féroce répression des paysans révoltés par leur pauvreté. Et c’est dans les nations protestantes que le capitalisme a connu sa mutation moderne, son plus bel épanouissement jusqu’à nos jours.

Le siècle des Révolutions

La Révolution Française fut faite par des bourgeois et des nobles, effrayés dès le pillage de l’entreprise Réveillon (juin 1789) par la naissance d’aspirations égalitaires dans le prolétariat parisien. La Déclaration des Droits de l’Homme affirme haut et fort le droit à la propriété, elle est résolument capitaliste.

Au XIXe siècle vinrent les premiers socialistes déclarés, en France et en Allemagne. Mais c’est Lénine qui fit pour la première fois l’expérience grandeur nature du socialisme, dans la Russie devenue URSS sous Staline. On connaît la suite : à bout de souffle, épuisée, la patrie du socialisme réel s’effondra sous les coups du capitalisme triomphant de Reagan.

Aucun des pays où le socialisme a été mis en œuvre n’a jamais réussi. Partout, ce fut la dictature des idéologues : Mao, Pol Pot, Castro, Kim Jong-il… Un désastre social et humain.

Quitter le socialisme ?

Alors on servit à l’Europe un plat nouveau, ni chair ni poisson, la social-démocratie. Le plus bel exemple est Tony Blair, socialiste qui poursuivit l’œuvre de M. Thatcher et permit à l’Angleterre de se relever. On se souvient de la phrase qu’il prononça devant le Parlement français : « Il n’y a pas une économie de droite ou une économie de gauche : il y a l’économie qui marche, et celle qui ne marche pas. »

C’était proclamer la fin de l’idéologie socialiste, condamnée par son inadéquation à la réalité humaine et sociale.

Le socialisme ne marche que quand on le quitte.

Il semble que M. Hollande l’ait enfin compris, en tout cas il le dit. Mais s’il passe aux actes, il va se trouver face aux enfants attardés du prolétariat parisien de juin 1789, les idéologues d’une idée généreuse qui a fait la preuve de son incapacité à exister dans la réalité. Il y aura avis de tempête, et l’on souhaite à ce grand louvoyeur de pouvoir nous en sortir. S’il y parvient, il aura réussi là où tous ses prédécesseurs ont échoué : mettre un point final au socialisme à la française. Exploit qui fera de lui un grand président.

Jésus, socialiste ?

J’ai montré dans les Mémoires d’un Juif ordinaire que Jésus n’a jamais eu ce que nous appelons aujourd’hui une doctrine sociale ou politique. Dans ses paroles comme dans ses actes, il s’est tenu soigneusement à l’écart des combats politiques de son époque. S’il a parlé du prolétariat (parabole de l’ouvrier de la onzième heure), c’est pour proposer une solution qu’aucun syndicat n’accepterait : la rémunération au bon vouloir du patron. Et dans d’autres paraboles, il semble non seulement admettre, mais encourager le capitalisme.

Jésus était réaliste. Il ne propose pas de réformer la société, c’est aux individus qu’il s’adresse : le monde tel qu’il est, tu ne le changeras pas. Mais tu peux te changer toi-même, tu le dois. Transforme ton regard sur les autres, ta façon de te comporter avec eux, ta relation personnelle à l’argent et aux biens de ce monde.

Tu n’as de pouvoir que sur toi-même. Mais sur toi-même, tu as tout pouvoir.

Ne cherche pas à changer les autres : change-toi toi-même.

Et en changeant ce que tu es, par contagion tu transformeras le monde.

                                     M.B., 19 février 2014

 

PEUPLE JUIF ET IDENTITÉ RACIALE

          Début août 2008 (1) une « Affaire Siné » a occupé nos médias momentanément privés de scandales. On a pu entendre sur les ondes les mots de race juive et d’identité raciale juive. Que peut-on dire à ce sujet ?

Identité raciale

Prenons un exemple : y a-t-il une race française ?
          Non, bien sûr. Il y a vingt ou trente siècles, une population s’est mise à exister entre Meuse et Pyrénées, entre Cap Finistère et Calanques. Celtes, Grecs, Romains, Northmen, « Barbares », Francs, Saxons, Lombards, tant et tant d’autres se sont établis sur ce territoire au cours des siècles pour que puissent naître, aujourd’hui, M. Martin et Mme Lefèvre !
          S’il n’y a pas d’identité raciale française, y a-t-il une identité française ?
          Oui. Nous ne nous sentons ni allemands, ni anglais.
          Qu’est-ce qui est à l’origine de cette identité ? Au rebours de l’Histoire :

-a- Un phénomène récent, le Siècle des Lumières, et la Révolution de 1789. Pour faire bref, on pourrait dire que l’identité française a commencé à naître à la bataille de Valmy, et grâce à la première coalition européenne menée contre la France.

-b- Mais l’idée de nation n’aurait pu naître à la fin du XVIII° siècle sans l’œuvre centralisatrice des rois, commencée sous Philippe le Bel, poursuivie par Louis XIV, achevée par Napoléon.
          Ce qui sous-tend cette lente naissance, et qui n’apparaît pas au premier coup d’œil, c’est le rôle continu et essentiel joué par la religion dans la naissance de notre identité nationale.
          On en a un exemple éclatant dans la guerre civile, commencée en 1529, et qui opposera pendant plus de deux siècles catholiques et calvinistes. La France est, ne peut être, que catholique.
          Pourtant, en France le catholicisme a été plaqué de l’extérieur sur une population – appelons-la « Celte » – qui possédait déjà une culture très riche, enracinée dans une religion autochtone vivante. Cette religion étrangère lui est venue de Turquie (Constantinople) et de nos cousins Ritals (Rome). Nos ancêtres, qui possédaient des cultes et un imaginaire religieux d’une grande richesse, n’éprouvaient nullement le besoin spontané d’aligner leurs deux genoux, mis à terre, sur la ligne immatérielle du dogme catholique. Ils se sont soumis.    
          Pour eux, le christianisme était une religion qu’ils n’ont pas inventée, qu’ils ont subie, qui leur venait d’ailleurs.


L’identité du peuple juif

« Tout israélien, écrit Shlomo Sand, sait sans l’ombre d’un doute que le peuple juif existe depuis qu’il a reçu la Loi dans le Sinaï… Chacun se persuade que ce peuple, sorti d’Égypte, s’est fixé sur la « terre promise » où fut édifié le glorieux royaume de David et Salomon », etc.
          « D’où vient cette interprétation de l’histoire juive ? Elle est l’œuvre, depuis la seconde moitié du XIX° siècle, de talentueux reconstructeurs du passé » En fait, le passé juif a été reconstruit, inventé, non pas au XIX° siècle mais dès l’Exil du VI° siècle avant J.C. Des théologiens politiques écrivent les Livres historiques de la Bible, et inventent une saga fondatrice qui ne repose sur rien ou presque. On sait aujourd’hui que l’Exode ne s’est pas passé tel que le raconte le Livre du même nom, que le royaume de David n’a rien à voir avec le Livre de Samuel et des Rois, et que même après la destruction du Temple en l’an 70 aucun exode massif n’a donné naissance à une diaspora juive qui existait déjà.
          Que s’est-il passé ?
          Au VI° siècle avant J.C., des prêtres prennent le pouvoir au milieu d’un conglomérat informe d’exilés à Babylone. Ils éprouvent le besoin d’une existence identitaire : pour y parvenir, ils inventent une religion, monothéiste, et la saga historique qui la justifie.
          A ma connaissance, c’est le seul cas où une religion ait été inventée par des « gens », volontairement, consciemment, pour que ces « gens » deviennent un « peuple ».
          Vingt cinq siècles plus tard, ce peuple est devenu une race : c’est un français, Gobineau, qui a contribué de façon efficace à implanter ce concept racial au début du XX° siècle.
          L’identité juive est exclusivement religieuse. Sa transformation en identité raciale est récente, mais elle est revendiquée par les sionistes. « Depuis les années 1970, en Israël – continue Sand – une succession de recherches « scientifiques » s’efforce de démontrer, par tous les moyens, la proximité génétique des juifs du monde entier. C’est… un champ légitimé et populaire de la biologie moléculaire… dans une quête effrénée de l’unicité d’origine du « peuple élu »

 Identité chrétienne, identité française ?

L’identité chrétienne s’est construite de la même façon, par une relecture orientée des événements qui ont suivi la mort de Jésus. J’ai pas mal écrit là-dessus (1), qualifiant cette relecture des événements d’imposture – imposture qui a donné naissance au catholicisme que nous connaissons.
          Le drame que nous vivons depuis les années 1950, c’est que ce catholicisme prend l’eau de toutes parts. Il ne faut pas s’en réjouir, l’écroulement de notre fondement identitaire accompagne et « marque » la crise identitaire profonde que connaît la France, et toute l’Europe catholique ou protestante.
          Il n’y aurait qu’une seule façon de sortir de cette crise, c’est de revenir à Jésus, tel qu’il fut en lui-même et non tel qu’il a été maquillé par les théologiens-historiens pour justifier l’immense édifice du christianisme catholique.
          Je constate que ce retour à Jésus, à ce qu’il a réellement fait ou voulu faire, à ce qu’il a réellement enseigné, est considéré comme irrecevable par nos contemporains. Ce serait admettre la faillite du christianisme, et nous ne le voulons pas puisque notre identité historique est en jeu.
          L’homme de Galilée pourra-t-il un jour être entendu ?
          Il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre. Après tant d’autres, on ne peut que poser une petite pierre sur une route qui, telle qu’elle est, semble ne devoir mener nulle part.


                                       M.B., 24 août 2008

(1) Voir l’article Comment fut inventé le peuple juif de Shlomo Sand dans Le Monde Diplomatique d’août 2008 et son livre Comment le peuple juif fur inventé, Fayard, 2008.

Voir aussi Dieu malgré lui, nouvelle enquête sur Jésus et Jésus et ses héritiers, mensonges et vérités.

« LOUIS XVI » de J.C. Petitfils

          Échaudé par le Jésus de Jean-Christian Petitfils j’hésitais avant d’ouvrir son Louis XVI (Perrin, 2005). Allais-je me trouver devant un plaidoyer mettant la mauvaise foi au service d’une cause quelconque, néo-royaliste, que sais-je ?

          Eh bien, j’avais tort, et j’ai dévoré ces mille trente-cinq pages d’une traite, prenant sur mon sommeil.

           J’ai toujours été fasciné par les dix-huit années (1774 – 1789) qui virent la fin d’un monde, celui de la monarchie de droit divin, et la naissance d’un autre dans des convulsions effroyables.

          Au centre de cette tornade, un homme : Louis XVI. Tragique, son règne débuta sous les ors de la Galerie des Glaces pour se terminer dans la détresse de la tour crasseuse du Temple.

          Comment en est-on venu là ? Aurait-on pu  éviter une Révolution qui détruisit tout sur son passage ? Et finalement, peut-on changer le monde  ?

           Pour répondre à ces interrogations, j’avais lu les récits des témoins du règne, Mémoires, Souvenirs et Journaux, et les biographies déjà parues de Louis XVI : m’apercevant ainsi qu’elles n’étaient pas nombreuses, et laissaient en suspens la grande question : pourquoi un homme intelligent, cultivé, travailleur, vertueux, aimé de son peuple jusqu’au bout, s’est-il montré incapable de réformer la France alors que c’était son intention, affichée dès le choix de son premier ministère ?

           Cette question, J.C. Petitfils se la pose tout du long, même s’il ne la formule clairement ici ou là que dans sa deuxième partie. Pour y répondre, il s’écarte parfois du canevas chronologique classique : après chaque grande étape du règne (chaque tentative, échec ou convulsion) il prend du recul pour situer l’événement dans son contexte administratif, social, économique, financier, politique du moment.

           Ce faisant, il permet enfin de comprendre l’extraordinaire difficulté de la tâche à laquelle Louis XVI, âgé d’à peine 20 ans, se trouva brutalement confronté. Ầ ma connaissance il est le seul à le faire avec autant de pédagogie, puisant dans une documentation immense qu’il maîtrise bien, laissant de côté l’anecdotique pour chercher toujours à cerner l’essentiel.

           Il met ainsi en lumière la complexité du caractère de Louis XVI, qui fut certainement l’une des causes (mais pas la seule) de son échec et déroute tous ses biographes.

          Faible, incapable de prendre une décision, le gros Louis ? Mené en laisse comme un caniche par sa femme Marie-Antoinette ? Ne comprenant rien aux aspirations d’une France fatiguée de ses rois ?

          Pour tout dire : apathique, ne songeant qu’à bouffer, à limer des serrures et à chasser. Un crétin velléitaire. De plus – un crime chez nous – insensible au charme des femmes, impuissant.

          Bref, un benêt plutôt gentil mais qui n’a eu que ce qu’il méritait.

           J.C. Petitfils permet au contraire de découvrir un homme de caractère, tenant sa femme à distance par prudence politique, ayant compris très tôt la nécessité d’une transformation en profondeur de la France.

          Adolescent tourné vers l’avenir, c’était la jeunesse au milieu d’une Cour de vieillards crispés sur leurs souvenirs du passé. Totalement seul devant le mur des égoïsmes conjugués. Bourré de scrupules moraux qui le rendaient incapable de violence – une violence qu’il déchaînera contre lui-même pour n’avoir pas su l’exercer contre les autres quand il le fallait.

           On suit pas à pas ses tentatives courageuses pour surmonter de terribles handicaps (l’inexpérience politique, les pressions de son entourage…). Fièrement, dans un isolement pathétique, il a tenu tête jusqu’au moment où, soudainement, il a « craqué », s’enfonçant dans une dépression nerveuse dont il ne sortira plus. C’était peut-être déjà en 1787, après l’échec de l’Assemblée des Notables.

          Alors, il ne tiendra que par ses automatismes. Ayant perdu toute illusion, il n’agira plus que par réflexes. Ce qui surnage dans ce naufrage c’est le meilleur de l’homme, ce secret si longtemps caché sous des silences obstinés : une force intérieure prodigieuse, exceptionnelle, qualifiée de « surhumaine » par les témoins de sa fin.

          Hélas, une force jamais soulignée ni donnée en exemple aux français, qui ignorent quel homme ils eurent alors pour roi.

           Très bien resituée par l’auteur dans ses contextes successifs, l’évolution psychologique de Louis XVI – depuis ses débuts de Dauphin jusqu’à sa fin tragique – permet de répondre à la première question : aurait-on pu éviter l’horreur destructrice d’une Révolution anarchique ?

          Peut-être. Mais pour cela il eût fallu que Louis XVI fût éduqué en plein vent, ailleurs que dans la bulle dorée de Versailles. Devenu roi, qu’il s’entoure de collaborateurs choisis pour leur mérite, sans considération de leur naissance (1). Qu’il fasse très tôt l’expérience réelle de la vie militaire et de ses camps, pour connaître l’armée, savoir lui parler, être connu et aimé d’elle. Afin de prendre sa tête pour qu’elle le suive, au lieu de commencer à l’abandonner dès le début de 1789.

          Il lui aurait fallu un cœur moins tendre. Moins de tolérance (2), moins de bonté, plus de cynisme. L’indifférence pour le sang versé, quand c’est celui des opposants. Envers eux, ni égards, ni droiture, ni pitié.

          Et pour guider sa vie, un seul principe : donner satisfaction à un ego surdimensionné.

           Bref, il aurait fallu que Louis XVI soit Bonaparte.

          Mais sans Louis XVI, aurait-il pu y avoir un Bonaparte ?

           Deuxième question : peut-on changer le monde ?

          J .C. Petitfils montre avec clarté que Louis XVI réussit une 1° Révolution quand sa volonté réformatrice finit (tant bien que mal) par rejoindre celle d’une majorité des députés et du peuple de France. Bref moment d’équilibre, immédiatement suivi par une 2° Révolution qui ne voulait plus seulement réformer l’État, mais changer le monde en changeant l’Homme. La suite, ce fut une dictature totalitaire, menée dans le sang et l’anarchie, par une extrême-gauche livrée à ses seules passions (cliquez) .

          Un désastre absolu.

           J’en reviens à Jésus. Contrairement à Jean-Baptiste et aux agitateurs néo-zélotes, Il n’a jamais prétendu réformer la société dans laquelle il vivait. Par ses paraboles comme dans son attitude et ses gestes symboliques, il a affirmé avec force que ce monde-là était fini, terminé, dépassé. Et qu’il en proposait un autre (cliquez, et aussi cliquez).

          Comment voulait-il le faire naître ?

          Par une transformation en profondeur des individus, pris un à un. Il n’a pas eu de programme politique ou social, pas de slogan mobilisateur des masses. Un altermondialisme individualiste (cliquez) , basé sur la contagion par l’exemple des vertus (« Comme j’ai fait pour vous, faites aussi vous-mêmes les uns envers les autres »).

           Au plus fort de la tempête, Louis XVI n’a cessé de répéter que son « amour pour son peuple » finirait bien par faire tache d’huile. Que l’exemple de sa bonté, de sa modération, de sa droiture, finirait de par l’emporter sur l’extrémisme.

          Comme Jésus, il a cru pouvoir changer le monde par la contagion de l’exemple, et comme Jésus il a échoué.

           Politiquement, l’un et l’autre ont eu tort : le monde ne change que dans la violence.

          C’est-à-dire qu’il ne change pas, puisque le seul changement qui pourrait répondre aux aspirations humaines serait la fin de la violence.

           Certains reprocheront à J.C. Petitfils de retracer les événements avec un a priori favorable à son malheureux héros, Louis XVI.

          Reproche non-fondé : il ne masque aucune des failles du personnage. Et s’il témoigne d’une sympathie évidente  pour ce « roi malgré lui », c’est que Louis, quel que soit le point de vue auquel on se place, suscite chez ceux qui l’approchent plus que de la sympathie : de l’affection et du respect.

                     Dans ses Mémoires l’ignoble Fouché, régicide, a écrit qu’en votant la mort du roi il ne s’en prenait pas à l’homme « qui était juste et bon » (sic), mais à son diadème.

          Ite, missa est.

                                                    M.B., 4 mars 2012

 P.S. : Après cette lecture, je reviens à ma critique du Jésus de J.C. Petitfils. Pourquoi ce fiasco historique (mais non pas commercial) ? Sans doute parce que l’auteur, historien de talent et travailleur infatigable, n’est pas un exégète. La personne et l’enseignement de Jésus ne nous sont connus qu’à travers des textes devenus sacrés : il faut, pour en percer les secrets, une autre technique que celle de l’historien.

(1) Quand il fera appel à Necker (bourgeois, et de surcroît protestant), ce sera toujours sous la contrainte.

(2) Croyant sincère à titre personnel, Louis XVI n’a jamais fait preuve d’intolérance religieuse : il ne voulait pas prêter le serment du sacre contre les hérétiques [protestants]. Sa défense du catholicisme était politique : préserver la fragile paix religieuse du royaume.

Le film « Jesus Camp » et les fondamentalistes américains

     UN DOCUMENTAIRE TERRIFIANT SUR LES ÉVANGÉLISTES

     Un film d’une heure 30, tourné en caméra mobile au Missouri et au Nord-Dakota, par deux journalistes américaines . Diffusé en France en mai 2007, c’est à ma connaissance la seule documentation critique sur les évangélistes américains qui soit accessible pour l’instant. Je l’ai visionné, crayon à la main. Les passages mis entre guillemets sont des citations textuelles de témoignages et commentaires filmés : je garantis leur exacte authenticité.

      « 25% de la population américaine est évangéliste, soit 80 millions. Il se crée une Église comme celle-ci tous les deux jours aux USA, et ce n’est que la partie visible d’un iceberg mondial. Quand les électeurs évangélistes votent dans ce pays, ce sont eux qui décident du sort des urnes ! »

     Morne plaine du Missouri. La chapelle est vaste, ressemble à une salle de spectacle : immense podium, écrans géants, sono sans fil. La veille du camp, on nous montre les animateurs fouinant partout, mains étendues, pour toucher chaque élément du mobilier et l’imprégner de prière : « Chaise, que celui qui prendra place sur toi soit transformé… Micros, transmettez la parole ! Console de sonorisation, ne nous lâche pas ! Tableau électrique, au nom de Dieu, pas de pannes, même s’il y a un orage ! » Etc. On fait le ménage avant, pour déloger l’Ennemi des objets.

     Le lendemain : 100 à 150 enfants de 6 à 14 ans, quelques parents. Pendant la durée du camp, ils ne vont quitter cette salle que pour le réfectoire et le dortoir.

 Méthodes d’incorporation gestuelle

     On les voit danser aux rythmes d’une musique endiablée (si j’ose dire), danser en maniant des bâtons selon des chorégraphies inspirées des arts martiaux. Danses guerrières synchronisées, attitudes belliqueuses comme celles de l’opéra chinois. On les voit sauter de joie et d’excitation sur place. Puis très vite crier, poings levés, les yeux fermés, cous tendus. Pleurer : souvent, et beaucoup. Murmurer des incantations, tête penchée, en se balançant d’avant en arrière. Tendus des pieds à la tête, bras collés au corps, hurler des slogans lancés par l’animateur. Soudain apaisés, ouvrir les mains, paumes vers le haut. Puis se balancer, bras levés, mains frémissantes qu’ils s’imposent mutuellement peu après, yeux fermés d’où coulent des larmes sur leurs joues d’enfants. Enfin tomber en transes au milieu des danseurs, secoués de spasmes prolongés, ou bien prosternés dans un coin, ou encore accroupis devant les marches du podium, bras écartés, yeux clos levés au ciel, visage crispé, nuque cassée.

     Ces enfants, qui doivent être inscrits du CM2 à la 4°, ne se possèdent plus. Ils sont possédés par leurs animateurs, qui appliquent toutes les techniques du « développement corporel ».

 Enrôlés pour une guerre

     Extrait des harangues de l’animatrice : « Aujourd’hui, nous sommes engagés dans ce qu’ils appellent une guerre culturelle. Cette guerre, ce n’est pas nous qui l’avons déclarée : mais c’est eux contre nous. C’est la guerre, et nous appelons à nous la puissance du Christ ! Regardez nos ennemis : eux, ils mettent le paquet sur leurs enfants ! Ils leur apprennent le maniement des armes et des grenades, ils leur donnent envie de à se faire exploser. Eh bien moi, je veux que vous, vous soyez totalement donnés à la cause de Jésus-Christ ! « 

     « Tout ce que vous entendez ici, recevez-le comme des prophéties, en faites-en de la guerre ! » Puis elle va vers eux, pointe le doigt vers chacun, et  crescendo : « C’est la guerre, c’est la guerre, c’est la guerre ! Chaque jour, c’est la guerre totale : que la bataille commence, alleluya ! »

     Entendu aussi, au détour d’un discours de feu :

     « La démocratie… ! Mais, à la fin des fins, leur démocratie, elle va nous détruire ! »

Une nouvelle religion

     On voit, dans un studio de radio (laquelle ?), un journaliste qui se lamente :

     « Aujourd’hui, il y a là-dedans une nouvelle forme de religion. Quelque chose de nouveau, depuis que Matthieu a écrit son évangile. Je suis chrétien depuis toujours : ces fondamentalistes n’ont rien de généreux, de compassionnel, de miséricordieux : c’est le contraire du christianisme ! Une nouvelle religion, qui n’a rien à voir avec le message du paix du Christ. Ils répètent que nous sommes engagés dans une guerre… Et ils ont grignoté le pouvoir, petit bout par petit bout : pouvoir judiciaire, économique, financier, politique, militaire, etc… »

     Confirmation : un animateur installe sur le podium un panneau de 3 mètres de haut : une photo de G.W. Bush en pied, souriant, aimable. Petit couplet à la louange du Président, grâce à qui le combat de Jésus est enfin engagé. Tous les enfants, extatiques, tendent les mains vers l’icône. Et l’animateur lance le slogan, repris par la foule : « Mister Président, one nation under God ! »

     La nation américaine, unifiée par son Président dans la soumission à Dieu.

     Alors, l’animateur tend la main vers les gosses : « En tant que chrétiens, vous aussi vous êtes des leaders : vous parlez à la place de Dieu ! »

     (Rappel : ils ont entre 6 et 14 ans, des bonnes bouilles de gosses, des tignasses de pré-adolescents, baskets et tee-shirts flottants)

Développement personnel

     L’animatrice dans un couloir bavarde avec Lévi, blanc, mince, visage fin, 13 ans : « Hi, pourquoi est-ce que tu viens au camp ? » – « Parce que… je veux essayer de communiquer avec les autres » Il baisse la tête, gêné : « Je suis… timide » – « Mais pendant les happenings, tu n’es pas timide, n’est-ce pas ? » – « Oh non ! pas à ce moment-là ! » Et de fait, on va bientôt voir Lévi prêcher à ses petits copains, avec une grande aisance.

     Slogans entendus : « Vous tenez les manettes (You hold the keys), vous pouvez changer le monde, AB-SO-LU-MENT ! »

     « Ce monde est devenu malade : vous, vous pouvez le changer ! »

     « Jamais encore il n’y a eu une génération comme celle-ci (doigt pointé vers eux) : MAINTENANT, c’est à vous, c’est le temps de l’accomplissement ! Nous prophétisons ! Et nous disons aux ossements desséchés (regard circulaire) : levez-vous ! MAINTENANT ! The time has come, c’est le moment ! »

     « Quand vous sortirez d’ici, vous ne serez plus les mêmes que quand vous êtes arrivés : vous serez brûlants ! »

Gnose

     Le message évangéliste est un gnosticisme sommaire : eux seuls connaissent le dessein de Dieu, eux seuls accomplissent Sa volonté :

     « Regardez comment ils s’entraînent pour nous faire la guerre ! Mais nous, nous l’emporterons… parce que nous avons… (grand rire)… excusez-moi, mais… nous avons la vérité ! »

     « Il y a deux sortes de personnes au monde : ceux qui aiment Jésus. Et ceux qui ne l’aiment pas ! »

     « Il y a urgence : accrochez-vous, priez désespérément pour que la véritable volonté de Dieu soit faite ! »

     Une gamine de 9 ans, seule dans un jardin, répond aux journalistes : « Ce que vous dites ? C’est votre parole. Ce que Dieu décide : c’est ma parole. Peu m’importe ce que vous pensez »

La lessive des cerveaux

     La même fillette de 9 ans (cheveux courts, fossettes dans ses joues rebondies, sourire) : « Qu’est-ce que je ressens pendant les célébrations ? On ressent de la paix, mais on ressent aussi de l’excitation… »

     Au micro, l’animateur martèle, et les enfants hurlent après lui : « Dieu ! Je suis ici à l’entraînement ! Je suis ici pour être éduqué ! Je suis d’accord, Dieu ! Dis ce que tu veux que je fasse, et je le ferai ! Je ferai ce que tu veux que je fasse ! »

     « Continuez à crier, enchaîne l’animateur : aujourd’hui, c’est le plus grand jour de toute votre vie ! »

     L’animatrice visionne une cassette : on voit une petite fille, en pleurs, les yeux révulsés, marmonnant. Commentaire : « Elle ne se rend pas compte de ce qui lui arrive. C’est tout simple : elle est envahie, investie par l’Esprit… Ah,  Les enfants ! Donnez-moi n’importe lesquels : ils sont si ouverts, si disponibles, si prêts à tout ! En un rien de temps, je leur fais ressentir des choses, ils ont des visions, ils entendent des paroles ! Vous savez, 47% des évangélistes prennent la décision d’être born again, c’est à dire d’accepter Jésus comme sauveur, avant l’âge de 13 ans »

     Résultat : extraits de la prédication de Lévi (13 ans) devant l’assemblée :

     « Ce que je ressens profondément, c’est que cette génération est une génération-charnière : nous possédons la clé du retour de Jésus ! Nous sommes une génération qui doit se lever ! Quand je prêche devant vous, ce n’est plus moi qui parle. Bon, c’est moi… mais, vous savez : ce n’est plus moi »

Serments de fin de camp

1- Tous ont les yeux levés vers un drapeau, frappé d’une grande croix. Ils posent la main droite sur le coeur, et, d’une seule voix :

     « Je jure fidélité et soumission (I plead allegeance) au drapeau de Jésus »

2- Ils se rassemblent en groupe compact autour d’une Bible posée sur une table basse. Ils tendent le bras vers cette Bible, poing fermé, jusqu’à ce que leurs poings se touchent, pouce contre annulaire, formant un cercle immatériel au-dessus du Livre sacré. Toujours d’une seule voix :

     « Je jure fidélité et soumission (I plead allegeance) à la Bible »

Conclusion 

     Je me refuse à tout commentaire, et vous livre ce matériau brut, sachant qu’il semble pour l’instant seul de son genre sur le marché des médias. Trop de choses se bousculent dans ma tête, trop de tristesse dans mon coeur. Partagez-les, si vous voulez. Moi, je me tais.

                                                   M.B., 30 Juillet 2007

« Le secret du treizième apôtre », Roman, Albin Michel.

                           roman d’action (Thriller)

          Moins long que Le Nom de la Rose, moins menteur que Da Vinci Code, mais aussi passionnant qu’eux : on se balade du 1° au 20° siècle, d’une abbaye mystérieuse aux couloirs du Vatican, des Esséniens aux Templiers, d’un prélat lubrique à un moine-ermite… Sans oublier les agents secrets juif et arabe à la gachette rapide.

          Tout ça, autour d’un secret réel : il y avait bien treize apôtres autour de Jésus, et le treizième n’était pas une femme. Il est nommé 8 fois dans le IV° évangile, mais nous ne saurons jamais son nom. Car il a été farouchement effacé, gommé des textes et de la mémoire de l’Église.

          Pourquoi ?

          Savait-il quelque chose, qu’il ne fallait pas dire ? Et ce qu’il savait pourrait-il mettre en danger la survie de l’Église, donc de l’Occident ?

          Un moine français, le père Nil, va partir à la recherche de cet homme, et du secret qu’il portait en lui. Nil va se heurter non seulement aux gens du Vatican, mais à ceux du Mossad et du Hamas : car les juifs, pas plus que les musulmans ni les chrétiens, n’ont intérêt à ce que le secret du 13° apôtre sorte de l’ombre où des hommes l’ont enfoui depuis 20 siècles.

          C’est un peu érudit, mais cette érudition-là on en redemande : elle est parfaitement lisible.
         C’est vrai aussi, c’est impertinent, mais que voulez-vous, l’auteur est français.
         C’est vrai enfin, on découvre des vérités étonnantes (mais exactes) sous le manteau scintillant de la fiction.

         C’est vrai, on ne s’ennuie pas un instant.

         Et quand on repose le livre, on reste songeur. Puis on se met à penser – peut-être même à rêver.

Paru en mars 2006, Le secret du treizième apôtre a figuré sur la liste française des best-sellers. Édité au Livre de Poche, traduit en 18 langues (dont le Coréen !), best-seller en Angleterre, Espagne, Italie, Allemagne.

« PRISONNIER DE DIEU », édition Fixot 1992

          Qu’est-ce qui pousse l’auteur, jeune homme « normal » et plein d’avenir, à tout casser pour rentrer à 22 ans dans un monastère contemplatif catholique ?

          Que se passe-t-il pendant ses années de formation ? Comment est-il « déformaté », puis « reformaté » selon le procédé commun à toutes les sectes ?
          Envoyé à Rome, il y arrive en pleine « révolution » : comment vit-il les espoirs nés de mai 1968 ?
         Et quand il revient dans son cloître, pour constater que rien n’y a changé, pour s’y sentir de plus en plus étranger ?

        Comment enfin est-il « quitté » par l’institution au bout de 20 ans, de façon honteuse, alors qu’il lui  a consacré les vingt meilleures années de sa vie, sa jeunesse et son idéal ?

          Un document passionnant sur l’Église et la société des années d’espoir et de désillusion. Une fenêtre ouverte sur les coulisses du cloître et du Vatican. Un récit plein de tendresse, de nostalgie, de lucidité.

          Le parcours étonnant d’un témoin du XX° siècle finissant.

Prisonnier de Dieu a été tiré à 85.000 ex. en France, et plus de 100.000 en Allemagne (Gefangener Gottes, Bastei-Lübbe, 1993).Il vient d’être traduit en anglais (Prisoner of God, Alma books, Londres, 2008).
La version française originale vient d’être rééditée par Albin Michel, avec une Postface de 2008 . Entre autres articles de presse : Un article dans « Le Parisien » sur « Prisonnier de Dieu »

UNE CRITIQUE ANGLAISE DU ROMAN « Le Secret du 13° apôtre »

 

           LE « TREIZIÉME APOTRE » VU PAR UN ANGLAIS

      La traduction anglaise du Secret du 13° apôtre (The 13th Apostel, Alma Books, London) a été pour moi l’occasion d’un long entretien avec un  journaliste du The Independant de Londres (1). Son article vient de paraître. En voici la traduction, établie par mes soins. Fidèlement trancrits ici, les propos du journaliste anglais sont de sa seule responsabilité.

           Y A-T-IL UN ECO DANS TOUT CELA ?

     L’Église catholique a été un repaire de corruption et de mensonges depuis l’époque de saint Pierre, selon un roman qui vient de paraître. Surtout ne parlez pas de Dan Brown à son auteur.

                                         Une Interview de Peter Stanford

     L’ombre portée par le succès phénoménal du Da Vinci Code de Dan Brown plane sur Le Treizième Apôtre, récit des intrigues vaticanesques concocté par Michel Benoît, et qui a atteint la Grande Bretagne après une carrière de bestseller en France et en Espagne. Pourtant l’auteur n’accepte pas qu’on dise qu’il aurait mis ses pas dans ceux de Dan Brown – pas un seul instant : « Quand j’ai lu le Da Vinci Code, je me suis dit : « ce n’est pas possible, sur un sujet pareil, de dire tant de merdes » Il ne sait pas de quoi il parle : moi, oui ».

     Ceci dit avec l’arrogance habituelle aux français, mais dans ce cas c’est indéniablement vrai. Ancien moine bénédictin, Benoît a préparé un doctorat en théologie à Rome avant de retourner enseigner le Nouveau Testament dans son abbaye. Et pourtant son intrigue – une société secrète au coeur de l’Église, prête à tuer pour protéger un ancien secret qui, s’il était dévoilé, mettrait le christianisme en péril -, semblera familière aux lecteurs du trhiller de Brown. Je n’en dirai pas plus, pour ne pas  dévoiler le suspense : je dirai seulement que dans ce roman, Jésus apparaît être moins que ce qu’on en a fait.

     Également proche de Dan Brown est l’histoire à sensations des manipulations et falsifications historiques située par Benoît au coeur de l’Église. Il dépeint une corruption rampante à l’intérieur du catholicisme institutionnel qui commence avec un saint Pierre meurtrier pour aboutir au dernier « méchant », un certain cardinal Catzinger au début du 21° siècle. Je demande à l’auteur : « Le pape actuel n’a-t-il pas des motifs suffisants pour vous traîner en justice ? » – « A quoi pensez-vous, comme vous avez mauvais esprit ! », sourit Benoît. « Vous autres anglais, vous avez toujours l’esprit vicieux ! ».

     La soixantaine, grand et athlétique, Benoît est un charmeur. Bavardant dans l’arrière-boutique d’une librairie de Londres, il prend manifestement plaisir à défendre la dimension historique d’un roman que ses éditeurs décrivent comme « dangereux à lire pour les catholiques ». Après avoir rejeté Dan Brown, il m’indique quelle serait la bonne référence de sa première oeuvre de fiction populaire : Le Nom de la Rose d’Umberto Eco. « Voilà ma référence, dit-il, j’adore ce livre. Eco est un des meilleurs connaisseurs de l’histoire italienne du 14° siècle »

     Il est clair qu’il y a une recherche sérieuse et approfondie en arrière-plan du roman. Il juxtapose la lutte pour le pouvoir, et les convulsions qui agitèrent l’Église primitive, avec un complot qui traverse les siècles jusqu’à aujourd’hui pour cacher un document qui dénoncerait ces luttes sordides – au risque de ternir l’image de saint Pierre et de ses successeurs. Mais le livre de Benoît est aussi le reflet de son expérience personnelle.

     Il est entré très jeune dans l’Ordre bénédictin, avec en poche un doctorat en pharmacie et après avoir refusé les offres de Jacques Monod (prix nobel de biochimie) pour suivre ce qu’il pensait être sa vocation. Dès le début, il fut un client peu commode : à cette époque, les moines de choeur étaient automatiquement ordonnés prêtres. Il refusa tout net, s’appuyant sur un texte récent du Concile Vatican II, et fut parmi les premiers bénédictins à n’être que simple moine.

     Ne sachant que faire de lui, ses supérieurs l’envoyèrent à Rome, où il étudia pendant 4 ans 1/2. Cette expérience nourrit sa description de la corruption dans la Maison adonnée au business de Dieu. « J’en ai entendu bien plus que je n’en raconte dans mon livre : je suis en-dessous de la réalité. Mais je n’avais pas l’intention d’écrire un roman de caniveau »

     Ses études le rapprochèrent des Évangiles et de Jésus. « J’ai découvert que Jésus était juif ! C’était la première fois que je m’en rendais compte, on ne me l’avais jamais dit. Le Jésus qu’on m’a enseigné était né à Rome, il avait une culture grecque. Voilà quelle était la version politiquement correcte »

     [Le journaliste, lui-même catholique pratiquant, me fait alors remarquer que le Concile Vatican II a publié des textes qui réhabilitent la judaïté de Jésus, et que le problème a toujours été l’incarnation de Dieu dans un homme. Puis il raconte comment j’ai « été quitté » par l’Église pour déviationnisme idéologique].

     Depuis 25 ans, son chantier de travail principal est la redécouverte du Jésus historique. C’est après avoir publié un essai, Dieu malgré lui, nouvelle enquête sur Jésus, que l’idée du Treizième apôtre mûrit dans son esprit : « Cet essai s’est vendu à 5000 exemplaires – il paraît que ce n’est pas si mal pour ce genre de livre ! Mais j’était très déçu. Alors je me suis dit : faisons un thriller. Un « roman de merde », avec tous les ingrédients habituels – crimes, sexe, trafics, la totale quoi ! Et j’ai trouvé ça très amusant. Mais j’ai voulu que la fiction soit solidement documentée au plan historique, un roman qui ait aussi du fond. Je ne peux pas dire que sa dimension historique représente la vérité, puisqu’il n’y a pas de vérité en histoire, il n’y a que des hypothèses qui s’approchent de la vérité. J’ai voulu être très rigoureux avec les textes qui racontent les débuts de l’Église ».

     Pour donner une idée de la méthode de Benoît : selon lui, Judas est pris dans  une machination visant à livrer Jésus aux autorités du Temple. Pour qu’il ne risque pas de parler, Pierre, le chef des apôtres, l’éventre d’un coup de poignard. Il semble que Judas était un obstacle à l’ambition de Pierre sur la route du pouvoir.

     Je demande « Où avez-vous trouvé la preuve de ce que vous avancez ? » – « Si vous lisez les Évangiles, vous trouvez deux récits de la mort de Judas. J’ai retiré les lunettes de la foi, et j’ai étudié ces textes comme n’importe quels autres. Le premier récit est celui de Matthieu : Judas se serait suicidé par pendaison. Le second se trouve dans les Actes des Apôtres, qui décrivent l’éventration de Judas. Et qui en fait le récit circonstancié ? L’apôtre Pierre. Partant de là, j’ai fait tout un travail de critique de la « version officielle », avec sérieux »

     Je suggère à Benoît qu’aucun tribunal ne condamnerait Pierre sur ce genre de fait. « Je m’y tiens comme à une hypothsèe historique, confirmée par l’étude de l’ensemble des textes. Vous me parlez de faits : Le seul fait certain est que Jésus est mort. Pour le reste, il faut s’appuyer sur trois choses : les textes, le contexte, et le bon sens ».

        (Paru dans The Independant on Sunday du 12 août 2007)

(1)The Independant est un peu l’équivalent anglais de Libération : un journal de gauche (anglaise !), dont les journalistes sont réputés pour leur franc-parler.

« PRISONNIER DE DIEU » : réédition avec POSTFACE.



          En librairie le 3 novembre 2008
          Qu’est-ce qui pousse un jeune étudiant brillant, promis à une carrière de chercheur auprès de Jacques Monod, à tout quitter pour entrer dans un monastère catholique ?

          Comment y mène-t-il, pendant 22 ans, une quête éperdue de Dieu ?

          Pourquoi, et comment, est-il finalement « congédié » par son Église ?

          De qui était-il prisonnier ? « de Dieu », ou bien de lui-même et d’une idéologie totalitaire ?

          Avec lui nous découvrons (sans langue de bois) le monde mystérieux des abbayes, la façon dont les moines vivent la solitude, le silence et la sexualité.

          Les événements racontés ici se situent entre les années 60 et 80. Mais rétrospectivement, Prisonnier de Dieu se lit aujourd’hui comme un document historique – et à charge – sur la démarche sectaire universelle. « Ce qui s’est passé là (écrit l’auteur) aurait pu se produire, de la même façon, dans n’importe quelle secte, évangélique ou musulmane »

          Publié pour la première fois en 1992, Prisonnier de Dieu se terminait par une interrogation désabusée sur « Dieu ». Depuis, l’auteur a cheminé, ses ouvrages ultérieurs et ce blog en témoignent. Il pose maintenant les questions de fond : « Où en sommes-nous ? Qu’est devenue notre identité occidentale ? Pourquoi notre civilisation est-elle en crise si profonde ? »

          Une Postface, ajoutée au document originel, se fait l’écho de ces interrogations.

          La réponse (s’il y en a une) ne peut venir que par petites touches, lentement. Timides suggestions, et non affirmation brutale. Si j’en ai la force, je continuerai à m’y employer, en revenant inlassablement sur la personne et le message de Jésus, le prophète méconnu de l’Occident.
         
          Il n’est pas nécessaire de réussir pour espérer.
                                   M.B., 26 oct. 2008

Voir l’article dans « Le Parisien »

LA FIN DES ILLUSIONS : Postface à « Prisonnier de Dieu »

          Les éditions Albin Michel viennent de rééditer Prisonnier de Dieu. J’ai écrit à cette occasion une Postface (2008), dont voici un extrait.
                        
          « Au moment de mettre sous presse, nous n’avions toujours pas de titre. J’en avais proposé trente à l’éditeur, qui les avait rejetés l’un après l’autre. « Michel, ma-t-il dit alors que l’imprimeur s’impatientait, nous l’appellerons Prisonnier de Dieu : c’est un bon titre ».
          « Dieu n’a jamais fait de prisonnier : je m’insurgeais. C’est de moi que j’avais été prisonnier, de moi seul, de mes illusions et de celles d’une époque. Mais l’éditeur avait raison : ce fut un bon titre. Un mensonge efficace.
                             
          « Je suis devenu frère Irénée le 9 octobre 1962, trois jours avant que s’ouvre le concile de Vatican II. Alors, dans nos colonies à peine devenues indépendantes, les missions étaient toujours prospères. Alors les sectes étaient pratiquement inconnues en Amérique latine, en Afrique, aux Philippines, en Corée. Alors, et pour la première fois, le président des États-Unis était un catholique, John Kennedy.
         « D’Acapulco à Séoul, intouchée par les siècles, l’Église se voulait seule détentrice de Dieu et des aspirations humaines. Sa conception du monde, de la morale publique, des relations entre les hommes et les femmes, était largement partagée. Elle inspirait depuis l’antiquité nos lois civiles, nos coutumes, nos interdits, nos joies et nos peines.

          « Au moment où je me présente à la porte de l’abbaye, l’Église forme encore la charpente d’un vaste édifice, solide et triomphant : la civilisation occidentale. Vingt ans plus tard, lorsque je me retrouve à la rue, l’édifice et sa charpente chancellent, sans qu’on puisse savoir qui a entraîné l’autre dans cet imprévisible déclin.

          « Les événements rapportés ici se déroulent entre les années 1960 et 1980, dans un univers clos. Ils sont datés par l’époque et par le lieu, et pourtant, Prisonnier de Dieu dépasse largement l’horizon étriqué d’un monastère catholique.
          « Ce qui n’était que le récit d’une trajectoire individuelle apparaît maintenant comme une sorte de document historique, parce qu’il témoigne d’une période charnière : la fin du consensus tacite entre une religion, et la civilisation dont elle avait nourri, pendant des siècles, l’imaginaire.
          « Machinerie complexe, qui a explosé sous mes yeux.
                                      
         « Les racines de notre civilisation, qu’on le veuille ou non, sont chrétiennes : il semblerait que le grand arbre, qu’elles ont si longtemps alimenté de leur sève, ne tienne plus aujourd’hui que par son écorce.
                         
          « Les monastères ont toujours été le fer de lance de cette civilisation : l’Église y reconnaissait son idéal de perfection, mis en œuvre par la Règle de Saint Benoît (cliquez). 
          J’ai découvert que cette Règle était profondément stoïcienne : « Là où commence le plaisir, là commence la mort ». Cette obsession macabre n’est pas évangélique. Par ses paroles comme par ses actes, le rabbi Galiléen montre une absolue détestation de la mort.        
          « Cet homme n’a semé autour de lui que guérison et vie.
                           
         « Je sais maintenant que la chasteté du corps et de l’esprit ne peut être vécue qu’à travers l’exercice de la méditation, si bien décrit par le Bouddha. C’est pourquoi les monastères se vident : on va chercher ailleurs les voies de la sagesse et de la purification mentale. La méditation silencieuse, seule forme de prière pratiquée par le juif Jésus, c’est auprès des sages d’Orient qu’il faut en découvrir la théorie et la mise en œuvre. Pour continuer toujours de l’ignorer, l’Église occidentale voit se détourner d’elle les meilleurs de nos chercheurs d’absolu.
                           
          « On m’a reproché d’avoir appliqué à l’Église établie le terme de secte. Pourtant, c’est bien du mécanisme de l’enfermement sectaire qu’il s’agit. Libre de rentrer, j’étais libre de sortir à tout moment – et cependant, je ne l’ai pas fait.
          « Le sectaire s’enferme de lui-même dans la secte, et ne peut plus se déjuger sans reconnaître l’erreur que fut son choix, sa responsabilité dans les souffrances subies et causées par lui. Nul ne franchit ce pas décisif, si quelque force extérieure ne l’y oblige. 

          « Ce qui s’est passé au bord du Fleuve aurait pu se produire de la même façon dans une secte évangélique, musulmane, ou certains partis politiques.
                             
          « Il n’y a qu’une seule vérité, c’est la nôtre et tu dois la partager, sinon… » : voilà la secte. En bien des époques et en bien des lieux, « sinon… » a pu signifier les pires châtiments corporels, heureusement interrompus par la mort. Mais toujours et partout, « sinon… » signifie le châtiment dans l’au-delà, qui ne cessera jamais.
          « Au regard de l’Histoire, l’Église est une secte qui a réussi.
          « Il m’a fallu dix ans, ayant retrouvé ma liberté de mouvements, pour reconquérir ma liberté intérieure. Puis j’ai compris que le passé ne méritait pas d’être combattu : sur ces pierres éboulées, il fallait tracer un chemin. Dieu n’appartient à personne en particulier.
                            
          « Tant d’années pour comprendre que les Églises – toutes les Églises – sont des organismes de pouvoir, que leur ambition non-avouée est de le conquérir, puis de le conserver à tous prix. « Dieu premier servi » est le slogan affiché. Idéal que les fidèles cherchent, et parfois trouvent, dans l’institution. La générosité de leur quête leur permet de contourner ce malentendu. J’y vois maintenant une imposture, enfouie dans les replis de l’inconscient.
                  
          « L’Église m’avait enseigné le Christ : il m’a fallu la quitter pour découvrir le prophète de Nazareth. Extraordinairement féconde, cette découverte a donné un sens à l’échec du frère Irénée, elle éloigne définitivement les miasmes de la mort. Sous forme de romans ou d’essais, je ne cesse depuis d’approfondir et de partager les échos qu’elle suscite.
          « Dans le désert humain, moral et spirituel qu’est devenue notre civilisation, la redécouverte de l’homme Jésus est pour moi une vraie lueur d’espoir. Cet homme solitaire, et pourtant relié à tout, a voulu humaniser la planète en lui indiquant un chemin. Au cours des siècles, quelques grandes figures ont su l’emprunter, et quantité de merveilleux anonymes.
          « Pour nos sociétés, tout reste à faire.
                 
          « Une fois dépouillé de la mythologie chrétienne, le rabbi itinérant de Galilée apparaît totalement subversif. Il a rejeté l’Église de son temps, ses rites et son clergé. Il s’incline devant la domination de César, pour mieux s’en affranchir intérieurement. Il transgresse tous les tabous, franchit toutes les frontières de la coutume établie.
          « Pareille attitude ne peut prendre forme durablement dans aucune structure sociale, qu’elle soit civile ou religieuse. Jésus n’a pas fondé d’Église, et la chrétienté s’est construite en le trahissant.
          « Le jour où j’ai commencé à m’intéresser au juif Jésus, je me suis engagé sans le savoir dans un couloir qui ne pouvait mener qu’à la porte de sortie.
                             
          « La révolution Gutenberg a facilité l’expansion des différentes Églises chrétiennes nées en Occident. Objet fédérateur, le livre réunissait les communautés autour de ses commentateurs. Jusqu’au XIX° siècle, seuls les clercs pouvaient lire abondamment : le savoir venait d’en-haut. Sa diffusion correspondait à la structure pyramidale des hiérarchies, en même temps qu’elle la renforçait.
          « La télévision, puis la révolution Internet, bouleversent ce fonctionnement séculaire : la communication est désormais horizontale, sans médiation cléricale, sans intermédiaire, ni limitation ou censure.
          « Cela prendra-t-il la place des Églises ? Des communautés virtuelles s’esquissent déjà. On s’informe, on échange, on partage sur un clavier. Mais seule, la rencontre d’une personne peut bouleverser des vies, provoquer la métanoia – ce renouvellement intérieur profond, ce départ pour l’aventure, ce regain après la moisson des désespoirs.
          « Si Jésus s’était contenté de Google, aurait-il laissé comme il l’a fait sa marque sur la planète? La rencontre vivante et chaleureuse de cet homme ne passera jamais par la seule informatique.
                             
          « Les Églises ne disparaîtront pas : chrétiennes, musulmanes, juive ou hindouiste, l’histoire de l’humanité montre qu’elles ont toujours accompagné l’essor des civilisations. Lorsqu’une civilisation décline, meurt ou se transforme, il ne reste plus de son Église originelle que l’appareil extérieur.
                             
          « Le mot tradition vient du latin tradere, qui signifie à la fois « transmettre » et « trahir ». Peut-on transmettre sans trahir ?
          « Si j’ai pu connaître les Évangiles, si j’ai rencontré la figure du prophète Galiléen, c’est bien par l’entremise de l’Église catholique, et grâce à elle. Elle a été la structure, sociale autant que religieuse, qui m’a transmis une mémoire. C’est elle qui m’a fourni les outils avec lesquels j’ai pu, bien après, retrouver le visage de celui dont elle se réclame. 

          « Tu parviendras » : pour parvenir là où elle prétendait me mener, j’ai dû m’éloigner d’elle. Peut-être en va-t-il de même pour toutes les sectes ou Églises.
                             
          « Quand ma génération – celle qui a dû s’accommoder des transformations les plus rapides que la planète ait jamais connue, mais qui disposait encore de repères, de références, de trajectoires passées et d’horizons imaginables, bref, de tradition – quand cette génération aura disparu, qui transmettra (cliquez) ?

          « Dans un monde qui n’a plus d’autres valeurs que quantifiables, où les aspirations les plus secrètes vers la transcendance sont jetées sur le marché comme les autres, qui transmettra – et à qui ? »

                    © Michel Benoît, 21 mars 2008

« LOUIS XVI » DE J.C. PETITFILS

Échaudé par le Jésus de Jean-Christian Petitfils (cliquez), j’hésitais avant d’ouvrir son Louis XVI (Perrin, 2005). Allais-je me trouver devant un plaidoyer mettant la mauvaise foi au service d’une cause quelconque, néo-royaliste, que sais-je ?

Eh bien, j’avais tort, et j’ai dévoré ces mille trente-cinq pages d’une traite, prenant sur mon sommeil.

J’ai toujours été fasciné par les dix-huit années (1774 – 1789) qui virent la fin d’un monde, celui de la monarchie de droit divin, et la naissance d’un autre dans des convulsions effroyables.

Au centre de cette tornade, un homme : Louis XVI. Tragique, son règne débuta sous les ors de la Galerie des Glaces pour se terminer dans la détresse de la tour crasseuse du Temple.

Comment en est-on venu là ? Aurait-on pu  éviter une Révolution qui détruisit tout sur son passage ? Et finalement, peut-on changer le monde (cliquez) ?

Pour répondre à ces interrogations, j’avais lu les récits des témoins du règne, Mémoires, Souvenirs et Journaux, et les biographies déjà parues de Louis XVI : m’apercevant ainsi qu’elles n’étaient pas nombreuses, et laissaient en suspens la grande question : pourquoi un homme intelligent, cultivé, travailleur, vertueux, aimé de son peuple jusqu’au bout, s’est-il montré incapable de réformer la France alors que c’était son intention, affichée dès le choix de son premier ministère ?

Cette question, J.C. Petitfils se la pose tout du long, même s’il ne la formule clairement ici ou là que dans sa deuxième partie. Pour y répondre, il s’écarte parfois du canevas chronologique classique : après chaque grande étape du règne (chaque tentative, échec ou convulsion) il prend du recul pour situer l’événement dans son contexte administratif, social, économique, financier, politique du moment.

Ce faisant, il permet enfin de comprendre l’extraordinaire difficulté de la tâche à laquelle Louis XVI, âgé d’à peine 20 ans, se trouva brutalement confronté. Ầ ma connaissance il est le seul à le faire avec autant de pédagogie, puisant dans une documentation immense qu’il maîtrise bien, laissant de côté l’anecdotique pour chercher toujours à cerner l’essentiel.

Il met ainsi en lumière la complexité du caractère de Louis XVI, qui fut certainement l’une des causes (mais pas la seule) de son échec et déroute tous ses biographes.

Faible, incapable de prendre une décision, le gros Louis ? Mené en laisse comme un caniche par sa femme Marie-Antoinette ? Ne comprenant rien aux aspirations d’une France fatiguée de ses rois ?

Pour tout dire : apathique, ne songeant qu’à bouffer, à limer des serrures et à chasser. Un crétin velléitaire. De plus – un crime chez nous – insensible au charme des femmes, impuissant.

Bref, un benêt plutôt gentil mais qui n’a eu que ce qu’il méritait.

J.C. Petitfils permet au contraire de découvrir un homme de caractère, tenant sa femme à distance par prudence politique, ayant compris très tôt la nécessité d’une transformation en profondeur de la France.

Adolescent tourné vers l’avenir, c’était la jeunesse au milieu d’une Cour de vieillards crispés sur leurs souvenirs du passé. Totalement seul devant le mur des égoïsmes conjugués. Bourré de scrupules moraux qui le rendaient incapable de violence – une violence qu’il déchaînera contre lui-même pour n’avoir pas su l’exercer contre les autres quand il le fallait.

On suit pas à pas ses tentatives courageuses pour surmonter de terribles handicaps (l’inexpérience politique, les pressions de son entourage…). Fièrement, dans un isolement pathétique, il a tenu tête jusqu’au moment où, soudainement, il a « craqué », s’enfonçant dans une dépression nerveuse dont il ne sortira plus. C’était peut-être déjà en 1787, après l’échec de l’Assemblée des Notables.

Alors, il ne tiendra que par ses automatismes. Ayant perdu toute illusion, il n’agira plus que par réflexes. Ce qui surnage dans ce naufrage c’est le meilleur de l’homme, ce secret si longtemps caché sous des silences obstinés : une force intérieure prodigieuse, exceptionnelle, qualifiée de « surhumaine » par les témoins de sa fin.

Hélas, une force jamais soulignée ni donnée en exemple aux français, qui ignorent quel homme ils eurent alors pour roi.

Très bien resituée par l’auteur dans ses contextes successifs, l’évolution psychologique de Louis XVI – depuis ses débuts de Dauphin jusqu’à sa fin tragique – permet de répondre à la première question : aurait-on pu éviter l’horreur destructrice d’une Révolution anarchique ?

Peut-être. Mais pour cela il eût fallu que Louis XVI fût éduqué en plein vent, ailleurs que dans la bulle dorée de Versailles. Devenu roi, qu’il s’entoure de collaborateurs choisis pour leur mérite, sans considération de leur naissance (1). Qu’il fasse très tôt l’expérience réelle de la vie militaire et de ses camps, pour connaître l’armée, savoir lui parler, être connu et aimé d’elle. Afin de prendre sa tête pour qu’elle le suive, au lieu de commencer à l’abandonner dès le début de 1789.

Il lui aurait fallu un cœur moins tendre. Moins de tolérance, moins de bonté, plus de cynisme. L’indifférence pour le sang versé, quand c’est celui des opposants. Envers eux, ni égards, ni droiture, ni pitié.

Et pour guider sa vie, un seul principe : donner satisfaction à un ego surdimensionné.

Bref, il aurait fallu que Louis XVI soit Bonaparte.

Mais sans Louis XVI, aurait-il pu y avoir un Bonaparte ?

Deuxième question : peut-on changer le monde ?

J .C. Petitfils montre avec clarté que Louis XVI réussit une 1° Révolution quand sa volonté réformatrice finit (tant bien que mal) par rejoindre celle d’une majorité des députés et du peuple de France. Bref moment d’équilibre, immédiatement suivi par une 2° Révolution qui ne voulait plus seulement réformer l’État, mais changer le monde en changeant l’Homme. La suite, ce fut une dictature totalitaire, menée dans le sang et l’anarchie, par une extrême-gauche livrée à ses seules passions (cliquez) .

Un désastre absolu.

J’en reviens à Jésus. Contrairement à Jean-Baptiste et aux agitateurs néo-zélotes, Il n’a jamais prétendu réformer la société dans laquelle il vivait. Par ses paraboles comme dans son attitude et ses gestes symboliques, il a affirmé avec force que ce monde-là était fini, terminé, dépassé. Et qu’il en proposait un autre (cliquez, et aussi cliquez).

Comment voulait-il le faire naître ?

Par une transformation en profondeur des individus, pris un à un. Il n’a pas eu de programme politique ou social, pas de slogan mobilisateur des masses. Un altermondialisme individualiste (cliquez) , basé sur la contagion par l’exemple des vertus (« Comme j’ai fait pour vous, faites aussi vous-mêmes les uns envers les autres »).

Au plus fort de la tempête, Louis XVI n’a cessé de répéter que son « amour pour son peuple » finirait bien par faire tache d’huile. Que l’exemple de sa bonté, de sa modération, de sa droiture, finirait de par l’emporter sur l’extrémisme.

Comme Jésus, il a cru pouvoir changer le monde par la contagion de l’exemple, et comme Jésus il a échoué.

Politiquement, l’un et l’autre ont eu tort : le monde ne change que dans la violence.

C’est-à-dire qu’il ne change pas, puisque le seul changement qui pourrait répondre aux aspirations humaines serait la fin de la violence.

Certains reprocheront à J.C. Petitfils de retracer les événements avec un a priori favorable à son malheureux héros, Louis XVI.

Reproche non-fondé : il ne masque aucune des failles du personnage. Et s’il témoigne d’une sympathie évidente  pour ce « roi malgré lui », c’est que Louis, quel que soit le point de vue auquel on se place, suscite chez ceux qui l’approchent plus que de la sympathie : de l’affection et du respect.

Dans ses Mémoires l’ignoble Fouché, régicide, a écrit qu’en votant la mort du roi il ne s’en prenait pas à l’homme « qui était juste et bon » (sic), mais à son diadème.

Ite, missa est.

 M.B., 4 mars 2012