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L’HISTOIRE, UN ENJEU POLITIQUE ?

          Mémoire, Histoire et politique : un ménage à trois détonnant !
         
           Les oiseaux, les fourmis ou les loups vivent en sociétés très structurées : ce sont des animaux politiques (du grec πολις, « l’être-ensemble »). Si chacune des espèces animales possède sa propre Histoire, elles ne le savent pas. Nous aussi, nous sommes des animaux politiques, mais en plus, nous sommes des animaux HISTORIQUES : nous savons que nous faisons partie d’une Histoire, et à son tour cette Histoire fait partie de nous, au point qu’elle détermine nos comportements. C’est pourquoi, vous le constatez chaque jour, la relecture et la compréhension du passé font constamment irruption dans notre actualité politique : de plus en plus, on demande à l’historien d’être guide, et conseiller de nos sociétés.

       I.    Dans la haute antiquité, il n’y avait pas encore d’Histoire mais des mythes, et des mythologies. Pour le romain Salluste : « Le mythe est la relation d’un événement qui n’a jamais eu lieu, à propos d’une chose qui existe depuis toujours » Ces mythes retraçaient l’histoire de héros, moitié hommes et moitié dieux. De bouche à oreille, on se transmettait les récits de leurs exploits. Des peuplades se reconnaissaient dans l’Histoire mythique à laquelle elles s’identifiaient, et qui les transformait en peuples.
          Le mythe des origines est « vrai », parce que la communauté l’a répété pour continuer à vivre. Le mythe d’identité est « vrai », parce que la communauté a existé par lui : le mythe prouve sa vérité par son efficacité. Ainsi du passage de la mer Rouge, qui transforma des tribus informes d’hébreux en peuple juif. Ainsi de la naissance de Romulus & Remus, qui fut en même temps l’acte de naissance de l’Empire romain. Ou encore la pierre d’Abraham à la Ka’aba, qui fonda l’islam : le mythe est fondateur. Il fournit, à des peuples qui n’en ont pas, une mémoire toute prête, déjà organisée, à laquelle ils se réfèrent et qui les situe dans l’univers.
          De tous temps, les mythes se sont transformés en mémoire collective. Ils ont été la mémoire des peuples, qu’ils ont façonnés à leur image.

       II.    Cela a duré jusqu’au V° siècle avant J.C., avec Hérodote que Cicéron appelle « le Père de l’Histoire ». L’unique œuvre de lui qui nous soit parvenue commence ainsi : « Hérodote d’Halicarnasse présente ici les résultats de son enquête, Ἡροδότου Ἁλικαρνησσέος ἱστορίης ἀπόδεξις ἥδε ». Hérodote a donc mené une enquête (historié) sur les Guerres Médiques. Il continue :  » … une enquête, afin que le temps n’abolisse pas la mémoire des actions des hommes, et que les grands exploits guerriers accomplis soit par les Grecs, soit par les Barbares, ne tombent pas dans l’oubli ».
          Hérodote cherchait-il seulement à effacer la distance du temps, en fixant la mémoire ? Il voulait qu’on se souvienne « des exploits des Grecs, comme de ceux des barbares » : a-t-il tenu parole ? Il semble que non. Aristote le traite de mythologue, créateur de mythes. Aulu-Gelle, d’homo fabulator  – créateur de fables. Pourquoi cela ? C’est Plutarque qui nous l’apprend, dans son traité De la mauvaise foi d’Hérodote : « Il a abusé ses lecteurs malgré son apparente limpidité. Il était philobarbaros, il aimait trop les barbares. Plusieurs volumes me seraient nécessaires pour passer en revue tous ses mensonges« .
          Alors : Mythes, ou fables ? Histoire, ou mensonges ? Il y a pourtant eu des faits, des batailles gagnées par les Grecs. Ils ont écrasé les barbares : mais ce qu’on reproche à Hérodote, c’est de n’avoir pas suffisamment écrasé leur mémoire. 

–  Orgueil national, impérialisme et racisme : première utilisation politique de l’Histoire.

          Par la suite, tous les historiens de l’Antiquité ont été soumis aux façons de penser, et à l’ordre social en vigueur dans leur Cité. Les peuples ne s’identifiaient plus à des héros mythiques, mais à des Grands Hommes. Les historiens se mettaient au service du Prince – et à travers lui du pouvoir, en même temps que de l’identité nationale. Leur marge de manœuvre était très étroite : mais tous n’étaient pas dupes, ainsi Suétone. Au moment où il écrit sa biographie du Divin Jules, il est secrétaire particulier de l’Empereur Hadrien : divinisé, son Jules César est paré de toutes les vertus qu’Hadrien prétendait posséder. Et quand Suétone glisse, au détour d’une phrase, que « César fut le mari de toutes les femmes de Rome, et la femme de tous les maris », cette critique (si toutefois c’en est une) était bien la seule qu’il pouvait se permettre.

        III.   Après eux, et pendant plus de mille ans, l’Histoire va être écrite par des gens d’Église. Ce sont des hagiographes : ils exaltent les figures de saints, de prélats ou d’abbés mitrés, qu’ils proposent en exemple au peuple chrétien. Ces historiens appliquent la doctrine de saint Augustin dans La Cité de Dieu : l’Histoire n’est qu’une résultante de l’action divine – comme chacun peut le vérifier, puisque l’Église catholique s’étend jusqu’aux confins de la terre.
          Les Annales du Moyen âge sont un mélange de propagande et d’endoctrinement : cette fois-ci, l’historien se met au service d’une idéologie religieuse, qui se trouve être à la base d’une civilisation conquérante. Non plus l’identité d’une seule nation, mais celle d’un ensemble multinational, la chrétienté. La frontière n’est plus celle du Limes, dressée contre les Barbares : c’est une frontière culturelle, et les nouveaux barbares sont les incroyants.
On cherche à conquérir en convertissant, on protège son identité en excommuniant.

– Orgueil culturel, fanatisme religieux, et exclusion : deuxième utilisation politique de l’Histoire.

          C’est pourtant à un moine catholique, Dom Mabillon, qu’on doit la première révolution de la science historique moderne : c’est la diplomatique, discipline qui distingue dans les documents anciens (ou diplômes), ceux qui sont authentiques de ceux qui sont faux, ou apocryphes. Comment les lire, les transcrire, les confronter – bref, les utiliser ?
           Mabillon a été l’inventeur de l’archéologie des textes anciens.

          Jusque là, l’Histoire était une construction de l’esprit humain, qui ne s’éloignait jamais vraiment du mythe. Mythe national, mythe princier, mythe religieux : le baptême de Clovis, qui fonda la chrétienté, rassemble en un seul ces trois formes du mythe.
          Pas de politique (c’est-à-dire d’organisation de la Cité) sans mythes fondateurs.

       IV.   Après le séisme de la Révolution française, les historiens se sont voulus ouvertement engagés : il fallait choisir son camp. Collègue de Michelet, Augustin Thierry écrit : « En 1817, préoccupé d’un vif désir de contribuer au triomphe des idées constitutionnelles, je me mis à rechercher dans les livres d’histoire des preuves et des arguments à l’appui de mes croyances politiques ».
          Mais le goût du travail minutieux et érudit a vite repris avec la fondation de l’École des Chartes (1821), qui anima un gigantesque travail d’archivage et de publications. Ce retour en grâce des textes anciens va donner naissance à l’Histoire positiviste. Le mythe est mort : désormais, le passé peut être connu dans sa réalité objective, sans interprétation, grâce à l’usage raisonné de documents positifs. L’historien devient un simple instrument, sorte d’appareil enregistreur qui n’a plus qu’à reproduire son objet – le passé – avec une fidélité mécanique.
          Pour les positivistes, l’Histoire n’est plus à construire : elle est à retrouver.

           Nous venons de dégager les deux extrêmes entre lesquels balance l’Histoire : d’un côté, la construction du passé, guettée par le mythe intemporel. De l’autre, la simple nomenclature des faits, guettée par l’oubli de la texture humaine des événements historiques.

        V.   Après celle de Mabillon, la deuxième révolution de l’Histoire a été l’irruption de l’archéologie, à la fin du XIX° siècle. Désormais, l’historien ne disposait plus seulement de textes, mais de sites, d’habitats, d’objets. Ces traces objectives de l’activité humaine, il pouvait les confronter aux traces écrites. On n’écrit plus l’Histoire des Grands Hommes, mais celle des peuples. On construit l’Histoire transversale des courants sociaux (Histoire des ouvriers, des femmes, de l’habillement, etc.), ou de microsociétés comme le petit village occitan de Montaillou (Le Roy Ladurie)…
          Enfin, dans les années 1980, apparaît la Nouvelle Histoire (Pierre Nora) qui est celle des mentalités, c’est-à-dire des représentations collectives et des structures mentales des sociétés.
          Cette Nouvelle Histoire s’affranchit des idéologies, politique, sociale ou religieuse. Non seulement elle se détourne des héros mythologiques et des Grands Hommes, mais – grâce à la sociologie et à la psychologie – elle prétend atteindre enfin le but que s’était fixé l’Histoire positiviste : les comportements sociaux, les évolutions mentales des peuples, sont décrits de manière scientifique. L’historien appartient au peuple dont il retrace l’Histoire : affranchi de l’esclavage du mythe ou du Prince, il proclame haut et fort qu’il est enfin libre – c’est-à-dire, par nature, révisionniste.

          Hélas, cette liberté revendiquée par l’Histoire moderne apparaît comme un vœu pieux. Vous devinez qu’en s’attachant à la reconstruction d’un passé collectif, l’historien va faire de la mémoire elle-même l’objet de son étude. Quand le positiviste Michelet voulait « montrer purement et simplement comment les choses se sont produites », il se situait au niveau des faits, non pas de la mémoire – qui, elle, se trouve en amont de la connaissance historique. En cherchant à reconstituer des mouvements d’idées, ou à ressusciter la vie quotidienne d’une commune rurale, l’historien va dépendre étroitement de sa propre histoire familiale et individuelle, de son milieu, de son éducation, de ses attirances et de ses rejets politiques. Déjà, en 1954, H.I. Marrou avait dû rappeler que l’Histoire est inséparable de l’historien.

          Rien ne semble donc avoir changé depuis Hérodote : l’Histoire d’aujourd’hui est toujours politique, elle reste un enjeu politique. C’est ainsi que nous avons eu droit au passé revisité par les communistes, ou par les Résistants. Par les anciens colonialistes, ou ceux qu’ils avaient colonisés. Par les croisés, ou par les Arabes. Par les bourreaux, ou leurs victimes. Enfin, nous avons eu droit au négationnisme des génocides, arménien ou juif.
Et tout récemment, nous avons eu droit aux lois mémorielles.

          « Les choses », dont parlait Michelet, semblent définitivement hors d’atteinte.
          Et l’Histoire, comme approche de la vérité des faits, définitivement disqualifiée.
          D’où le mot de James Joyce : « L’Histoire est un cauchemar dont il faut se réveiller »

          Paradoxalement, c’est dans le petit milieu des érudits chrétiens que la question de la vérité historique a connu, depuis un siècle, ses avancées les plus significatives, et que l’Histoire a retrouvé un peu de son honneur. Pourquoi ?
Parce que, seul de son espèce, le judéo-christianisme est une religion historique. Ce n’est pas le fruit d’une métaphysique (Plotin), d’une haute morale (Confucius), d’une mystique (Védas hindous). Pour les judéo-chrétiens, Dieu s’est fait connaître à travers l’Histoire des hommes et de leurs tribus : La Révélation chrétienne n’est pas le fruit d’une illumination ou d’un éveil de la conscience. Au point de départ il y a non pas des idées, mais des faits humains triviaux, dont il faut découvrir la signification cachée.
           Saint Augustin avait développé la notion de théologie de l’Histoire : avec lui, l’Histoire devenait une proposition théologique. Histoire Sainte, les textes sacrés étaient une allégorie, que l’exégète interprétait pour construire à la fois le passé, le présent et l’avenir de l’humanité. L’Histoire allégorisée mettait en place les mythes fondateurs de la chrétienté.
          A cause de la nature de leur religion, la question de la véracité des faits fondateurs s’est posée en termes nouveaux, de façon cruciale et urgente, à des exégètes protestants dès le milieu du XIX° siècle. Ils ont été rejoints par les catholiques au milieu du XX° siècle. Des savants allemands, français, et aujourd’hui surtout américains, ont fait faire à la science historique des progrès importants en tentant, avec opiniâtreté, de revenir aux faits, aux événements qui sont à l’origine du christianisme. C’est ce qu’on appelle l’exégèse historico-critique, qui s’oppose à l’exégèse allégorique. Elle a accompli des progrès considérables, et si je vous en parle, c’est parce qu’elle éclaire particulièrement bien la question que nous nous posons aujourd’hui : mémoire, mythe, ou Histoire ? Histoire, ou politique ?

          Dans leur recherche du vrai visage des héros fondateurs de leur religion, les exégètes chrétiens ont d’abord mis au point une boîte à outils performante. Une quinzaine de critères de lecture des textes anciens, très précis, beaucoup plus sophistiqués que la science diplomatique du vieux Mabillon. Ils ont pu ainsi explorer la notion de tradition orale : la façon dont la mémoire s’est transmise, pendant une longue période, de bouche à oreille. Puis d’histoire des formes littéraires : la façon dont les récits oraux ont été mis par écrit selon des schémas littéraires, communs à telle ou telle époque, à telle ou telle région de l’Antiquité. D’histoire des traditions écrites : la façon dont les écrits se sont influencé l’un l’autre, au moment même de leur élaboration, parce qu’ils voyageaient, et étaient lus hors de leur lieu d’écriture. D’histoire des communautés, porteuses des traditions orales, et lieux de mise par écrits de ces traditions. Enfin, d’histoire linguistique : le passage, par traductions successives, d’une culture à une autre, d’une époque à une autre.

          Le fameux « objet » après lequel courait tant Michelet, c’était donc LE TEXTE ! Mais le texte non plus support d’allégorie, non plus vecteur de mythe : le texte, objet d’examen critique pluridisciplinaire.

          Chemin faisant, ces exégètes ont pu reprendre à l’école allemande sa distinction entre les événements de l’Histoire (Historich) et le fait historique (Geschichtlich). Je vous résume brièvement leurs conclusions :

1) Événement de l’Histoire : C’est le – ou les – événements initiaux, les paroles prononcées, les faits tels qu’ils se sont réellement produits, à un moment donné, autrefois. Que l’événement du passé soit éloigné de nous par un siècle, dix siècles ou dix minutes, c’est la même chose : une fois accomplie, une action est perdue pour nous à tout jamais. Une fois prononcée, une parole – son intonation, sa situation dans le temps et dans l’espace, sa portée sur l’auditoire – ne peut plus être redite. L’événement du passé appartient au passé : on ne peut plus, ni y revenir, ni l’atteindre à nouveau dans son jaillissement originel.

2) Fait Historique : ce sont les faits ou les paroles, tels que l’historien tente de les établir, après enquête (Hérodote). L’enquête doit être rigoureuse, la boîte à outils efficace, chaque outil (chacun des critères de lecture) doit être utilisé selon sa fonctionnalité propre. Aucun critère ne doit être négligé. La version des faits proposée par l’historien résultera d’un choix entre plusieurs pistes, plusieurs hypothèses possibles : car si l’événement de l’Histoire est unique, le fait historique n’est jamais simple, indiscutable, certain. L’historien doit prendre sa décision finale au vu d’un dossier le plus souvent contradictoire.
          Le fait historique peut-il retrouver intacte la mémoire du fait de l’Histoire ? Non, et pour deux raisons : d’abord parce que la mémoire des témoins eux-mêmes était entachée par leurs opinions, leurs préjugés, leurs ambitions, leurs choix ou leurs refus. Ensuite, parce que l’historien vit dans un milieu donné, à une époque donnée. Qu’il le veuille ou non, il est tributaire de ce qu’il peut comprendre du passé. Mais aussi, à cause de la pression sociopolitique qu’il subit à son insu, l’historien sait le plus souvent ce qu’il peut dire, ce qu’il doit dire, et surtout ce qu’il ne peut absolument pas dire.
          Sur les origines d’un ensemble d’événements devenus fondateurs de civilisation – c’est-dire transformés en mythes – l’historien, même s’il sait beaucoup de choses, ne peut pas tout dire. Il faut des années, parfois des générations, avant que la vérité historique d’un génocide, ou d’une guerre coloniale, ou des origines d’une religion, puisse être présentée, dans son état actuel d’élaboration, à la conscience du grand public.

          De ce survol rapide, retenons quatre conclusions :

1- L’Histoire ne peut pas, ne doit pas prétendre à une vérité absolue. L’historien est lui aussi un animal politique et historique. La vérité historique n’est pas la vérité de l’Histoire : c’est la moins mauvaise interprétation possible des faits du passé. Le travail de l’historien consiste à affiner des hypothèses successives.

2- En Histoire comme en exégèse, il n’y a pas de vérité définitive. Que des pièces nouvelles soient découvertes (documents, archéologie), ou qu’un historien reprenne un vieux dossier avec un regard neuf et inventif, et soudain une nouvelle vérité historique peut surgir.
          Parce qu’elle bouleverse la façon dont notre mémoire collective s’est construite en Histoire fondatrice, parce qu’elle bouleverse notre « vision du monde », cette nouvelle vérité va rencontrer l’opposition de tous, jusqu’à ce qu’elle finisse, lentement, par s’imposer à tous.

3- Pas de vérité historique définitive, mais quand même, des sédiments qui se déposent au fil des ans ou des siècles. Parce qu’ils rencontrent un consensus à la fois des historiens et de leurs sociétés, on parle d’acquis de l’Histoire. Ce n’est pas faux, notre connaissance historique progresse réellement. Mais il ne faut jamais oublier quelle est la fragilité de la vérité historique.

4- Enfin, l’historien peut finir par en savoir plus, sur un événement du passé, que ceux-là même qui ont vécu cet événement. Quand le passé était encore du présent, il était – comme ce que nous vivons en ce moment même – quelque chose de pulvérulent, de confus, de multiforme : un ensemble touffu de sentiments, de sensations qui se heurtent en nous, de causes et d’effets, dont nous peinions à saisir sur le vif la signification, et plus encore les répercussions.
Avec un peu de chance et beaucoup de perspicacité laborieuse, l’historien parvient à mettre en lumière des intentions, des préjugés, des désirs obscurs ou des volontés cachées qui étaient enfouis dans l’inconscient des acteurs de l’Histoire. Au moment des faits, eux-mêmes ne pouvaient pas en être conscients. Il leur manquait deux choses : le recul du temps, et un champ de vision qui dépasse leur horizon limité. Parce qu’il dispose de l’un et de l’autre, l’historien est capable, aujourd’hui, d’en apprendre à Jules César, sur lui-même, plus qu’il n’en savait lui-même.

Le résultat de tout cela, ce sont les innombrables livres d’Histoire qui encombrent les étagères de votre bibliothèque. J’espère que vous prenez, à les lire, autant de plaisir que moi.

                   M.B., Conférence donnée le 14 mars 2009

Voir aussi Comment discréditer un historien mal-pensant ?

LE TOMBEAU DE JÉSUS, RÉALITÉ OU SUPERCHERIE (II) : J. Cameron

          Je viens enfin de visionner le film de James Cameron (l’article précédent était une critique du livre de Simcha Jacobovici, co-réalisateur du film).

     Il se confirme que ces cinéastes ignorent tout de l’exégèse historico-critique. Par exemple, dans le film, ils considèrent que les « paroles de Jésus » dans l’Apocalypse de St Jean ont été prononcées par lui… Alors que l’Apocalypse a été écrite entre l’an 90 et 110, sans doute dans l’actuelle Turquie… bref.

     De même, ils représentent gravement les arbres généalogiques de Matthieu et Luc (en images de synthèse), pour expliquer que le « Matthieu » dont on a retrouvé un ossuaire à côté de celui de « Jésus fils de Joseph » faisait certainement partie de la famille de Marie… bref encore.

     Enfin, ils utilisent les textes des évangiles apocryphes sur le même plan que ceux des évangiles canoniques, sans se préoccuper de l’origine gnostique évidente de ces textes (voir dans ce blog l’article « Soyons sérieux : Marie-Madeleine…etc. »)

Le film pose quelques questions intéressantes :

1)  Le chevron serait un symbole pré-chrétien, le symbole du « mouvement Jésus » avant sa récupération par l’Église naissante. Qui utilisa d’abord comme symbole le poisson, puis (à partir du IV° siècle) la croix.

     Pourquoi pas ? On retrouve ce chevron dans des nécropoles judéo-chrétiennes, comme à l’entrée de la tombe de Talpiot. Le problème avec ces malheureux judéo-chrétiens, c’est que leurs traces archéologiques sont passées inaperçues pendant des siècles, parce que l’Église les avait effacés sauvagement  des textes comme de la mémoire. Il y aurait là une piste intéeressante à poursuivre.

2) Le film parle d’un ossuaire retrouvé dans une nécropole judéo-chrétienne proche de Jérusalem, portant l’inscription « Simon, fils de Jonas ». Soit, en araméen, Shimon barjona. Nos Indiana Jones ignorent évidemment que Barjona était le surnom, en araméen, des zélotes. Avec un culot imperturbable, ils font de cet ossuaire celui… de Simon-Pierre, le chef des Douze ! Exit la présence de Pierre à Rome, son martyre dans le cirque du Vatican…

     Alors qu’il y avait parmi les Douze un disciple appelé Simon le Zélote (Mt 10, 4 et parallèles) : si l’on veut absolument faire de cet ossuaire celui d’un judéo-chrétien célèbre, il ne s’agirait pas de Simon-Pierre, mais de ce Simon-le-zélote, disciple de Jésus nommé dans chacun des 4 évangiles.

Encore quelques réflexions, jetées ici en vrac :

     Depuis 50 ans, une poignée de spécialistes redécouvre le visage du Jésus de l’Histoire derrière celui du Christ de la foi. Cette redécouverte a été rendue possible par l’étude croisée des évangiles avec la méthode de l’exégèse historico-critique, des évangiles apocryphes, la découverte de sources nouvelles,  l’épigraphie et l’archéologie.

     Il y a encore peu, ces recherches étaient cantonnées au petit monde des spécialistes. D’abord parce qu’elles se situaient à un niveau technique élevé, ensuite (et surtout)  parce que les Églises tentaient de les étouffer par tous les moyens.

     La parution, en rafale, de films grand public (Mel Gibson, James Cameron entre autres) et de dizaines de romans à succès, a brutalement fait craquer le tabou : le public s’habitue à entendre parler de Jésus autrement.

     Malheureusement, seuls connaissent un succès mondial des films ou des romans racoleurs, mensongers, purement commerciaux : c’est du cinéma et de la littérature de caniveau.

     Il n’empêche : par cette brèche ouverte à grand fracas dans des dogmes réputés intouchables, d’autres livres peuvent s’insinuer et rencontrer le public : c’était un peu le cas de Dieu malgré lui (Robert Laffont 2001), c’est encore plus net avec Le secret du 13° apôtre (Albin Michel 2006), traduit dans 16 pays. Malgré leur écriture accessible ou légère, ces livres sont enracinés dans les recherches les plus récentes, les plus sérieuses.

     On peut respecter l’Histoire, tout en amusant. On doit, toujours, respecter la personne de Jésus : s’interdire d’en faire un objet de marketing.

     Autrement dit, les choses bougent.

     Certes, j’aurais souhaité que cette ouverture n’ait pas l’odeur d’argent ou de poubelle qui l’accompagne. Mais il ne faut pas hésiter à l’utiliser, sans pour autant tomber dans ses travers.

     Merci donc aux money-makers qui ont transformé Jésus en machine à sous et à rêves douteux. Grâce à eux, des chercheurs comme moi et d’autres peuvent se faire un peu entendre.

        M.B. 22 juin 2007

(à suivre)

DIALOGUE AVEC LUC FERRY (II.) : Le philosophe et l’exégète

          Une rencontre avec Luc Ferry sur un plateau TV me donne l’audace de poursuivre ce dialogue avec lui (1). 
         
          Philosophe, « mystique », historien : chacun des trois, à sa façon, se trouve confronté à la même et unique réalité – l’humain, ses multiples expressions dans l’humanité, et l’au-delà des apparences qui les dépasse et les attire.

1) L’approche philosophique (2)

          Le philosophe ouvre ses yeux sur l’aventure humaine, ses protagonistes (nous), et l’immensité du cosmos dans laquelle elle s’inscrit. Il cherche à comprendre : pour cela, il utilise l’outil de sa réflexion. L’intelligence, et son principe de non-contradiction.
          Luc Ferry introduit son propos en remarquant que depuis toujours, la philosophie est née et s’est développée comme une laïcisation des religions ambiantes. Des religions, et tout d’abord des mythes – qui furent la forme primitive et universelle des religions.
          Ainsi, du mythe de l’Odyssée : lorsque Calypso propose à Ulysse de rester auprès d’elle pour acquérir l’immortalité, il choisit plutôt de la quitter pour revenir à Ithaque, son lieu d’harmonie personnelle et cosmique. « Une vie de mortel réussie est préférable à une vie d’immortel ratée ». La philosophie grecque s’enracine dans ce mythe.

          Le philosophe veut dépasser le mythe originaire (le voyage d’Ulysse) pour parvenir, grâce à lui, à une compréhension universelle de la destinée humaine – une theoria, objet de science perfectible, comme n’importe quel objet de science.
          La philosophie serait-elle donc, par nature, condamnée à rester à la traîne des religions ? N’étant au mieux (comme le rappelle Luc Ferry) qu’une « servante de la théologie », tolérée par elle pour autant qu’elle se soumet à la seule vraie science, celle de Dieu ? Ou bien devenant, au pire, l’ennemie qu’il faut ignorer puis combattre ? 
           Fils naturel des religions, le philosophe n’évite pas la vielle question (jamais réglée)
des rapports entre la foi et la raison.
           Avec la naïveté du profane, j’aimerais en suggérer une autre : les philosophes – quel que soit le degré d’abstraction de leur réflexion -, ne sont-ils pas, eux aussi, soumis comme nous tous à l’attraction de la pensée mythique ? Fascinés (malgré eux) par l’obscur religieux dont ils se défendent ?
          Le mystère de la destinée humaine et de l’au-delà des apparences, dans sa globalité, n’est-il pas présent à leur subconscient – si ce n’est parfois même à leur conscience ? Et « l’arrogance philosophique » ne serait-elle pas seulement une réaction de défense de la part de ceux qui ne peuvent pas croire (et revendiquent l’autonomie de leur intelligence), en face de ceux qui prétendent posséder, avec la foi, le seul accès possible à une explication cohérente du monde et de nos vies ?

2) L’approche mystagogique

          Pardonnez ce mot barbare : je le préfère à « mystique », à cause des relents d’extases et de visions que ce dernier traîne avec lui. Et au mot « spiritualité », accommodé à toutes les sauces (y compris « laïque »).
          Le (ou la) mystagogue fait, dans sa globalité unifiée et unifiante, l’expérience de l’unique et même réalité à laquelle le philosophe s’affronte par son intelligence.
          Des exemples ? Claudel et son pilier de Notre-Dame, Charles de Foucauld et l’abbé Huvelin (« mettez-vous à genoux ! « ), Pascal et sa « nuit », le Bouddha et sa veille à Bodhgaya, Jésus et ses 40 jours au désert… 
         
          Un bouleversement qui terrasse, au moment où il se produit, celui ou celle qui en est l’objet. Selon les cas, quand il s’en relève il devient grand poète-ambassadeur, ermite à Tamanrasset, philosophe des Lumières, pilier de la civilisation orientale ou prédicateur itinérant en Palestine. Jamais (même dans le cas du Bouddha, le plus lucide de tous semble-t-il) il ne sera capable de rendre compte adéquatement de l’expérience qu’il a vécue. Il ne peut qu’en témoigner (cliquez) : il devient mystagogue – et non philosophe.

          Ce qu’il enseigne n’est rien, même à ses propres yeux, à côté de l’expérience qu’il a vécue. Il ne dit pas « Je vais vous expliquer », mais « Venez, et voyez », ou bien « Suis-moi ».
         
          Et lorsqu’il se trouve être en même temps un immense philosophe, comme Thomas d’Aquin, à la fin de sa vie il refuse de continuer à enseigner, de terminer l’œuvre philosophique entreprise : il s’abîme dans le silence, seul langage adapté à son expérience au-delà des mots.
           Tout comme il est au-delà du discours et de nos catégories mentales, Celui que les théologiens appellent pourtant « Dieu ».

          Je ne sais comment il convient d’appeler ce phénomène de saisie globale, totale, unifiée, unifiante, de la réalité que l’analyse du philosophe détaille dans sa diversité. Faut-il dire « intuition ? » Mais ce que je sais, c’est qu’il n’est pas réservé à une élite de la pensée : au contraire, on le rencontre souvent chez des gens très simples. Peut-être grâce, justement, à leur simplicité : « le Royaume appartient aux enfants et à ceux qui leur ressemblent ».

          Pour leur part, les philosophes trouvent leur justification, et leur noblesse, dans leur effort pour atteindre l’âge adulte de l’esprit pensant. Cela implique-t-il que l’usage de la raison les rende imperméables à une certaine expérience mystagogique ? Accédant à leur statut d’adultes, ont-ils nécessairement dû abandonner, aux bas-côtés de leurs routes, la fulgurance intuitive des origines, celle du mythe comme celle de l’enfant qui vient au monde, regarde et s’émerveille ?

          Quel est le rôle de l’intuition dans la réflexion philosophique ? C’était ma question naïve du début.

3) L’approche exégétique

          Luc Ferry intègre dans sa recherche  » l’usage herméneutique de la raison, c’est-à-dire un usage visant à l’interprétation des Écritures saintes »
          L’interprétation des documents anciens (sacrés ou non) s’appelle aussi l’exégèse. Un exégète se saisit d’un texte comme d’un objet : il cherche à savoir si ce qu’il dit est bien conforme à ce qu’on lui a fait dire. A travers le brouillard des interprétations successives, il veut atteindre la réalité des événements du passé, des paroles prononcées autrefois et de leur contenu véritable.

          Par nature, un exégète est un révisionniste : il repousse les interprétations traditionnelles du texte, pour chercher ce qu’il disait au moment où il a été prononcé et entendu autrefois, et le traduire dans les mots et le mode de pensée d’aujourd’hui.

          Traduttore = traditore : l’exégète veut traduire la vérité contenue dans le texte, sans la trahir.

          Ouvrier travaillant sur ce chantier, je ne m’y retrouve pas quand Luc Ferry écrit que pour comprendre – traduire – le sens intemporel de textes anciens (comme les paraboles évangéliques), « il faut faire usage de la raison, c’est-à-dire, si l’on veut, philosopher »
          L’exégèse est une discipline de l’Histoire : un historien qui raisonne n’est plus un historien. L’historien n’a qu’une chose à penser (mais alors, à chaque minute de son travail !), c’est sa méthode. Il peaufine sa méthode pour s’approcher des faits historiques (3), paroles ou gestes du passé : ensuite, ce sont ces faits qui commandent. Il ne s’agit pas de les penser, mais d’en appréhender la vérité au plus près possible de son jaillissement originel.
          L’exégète qui philosophe se trompe de chantier, c’est un traître et non un traducteur.

          Il met en œuvre des techniques austères et rigoureuses : linguistique (comment rendre aujourd’hui cet aoriste grec des évangiles ?), histoire des traditions orales, des traditions écrites, des manuscrits. Connaissance du contexte sociologique, politique, militaire, religieux, du pays où le texte a pris naissance, au moment même où il a pris naissance. Parfois, intégration des résultats de l’archéologie.

          Pourquoi pareil labeur, où la raison n’a pas même le droit de vivre sa vie propre, mais doit se soumettre à des disciplines aussi contraignantes ? Qu’est-ce qui pousse l’exégète à râper, à limer, à poncer sans relâche des textes déjà lus par des milliards de gens avant lui ?
          Le simple désir de connaître ? Sûrement, tous les savants cèdent à son chant. L’orgueil de celui qui sait (et lui seul) que les autres font mentir le texte, après l’avoir trahi ? Peut-être. La foi, au sens le plus religieux du terme ? Certainement pas. Si l’exégète ne doit pas penser le texte, il doit aussi (et avant tout) retirer les lunettes de la foi pour pouvoir le traduire sans trahir.

          Peut-être l’exégète sera-t-il un jour saisi d’amour pour l’homme dont il veut restituer la vérité historique, peut-être l’approche mystagogique sera-t-elle l’aiguillon, en même temps que la récompense, de son austère travail. Ce n’est pas une condition, cela peut être un obstacle. L’exégète croyant est professionnellement schizophrène : la foi religieuse, édifice construit sur les textes « sacrés » qu’il étudie, est un obstacle à son travail.

          Cette prise de conscience de la nécessaire autonomie de l’exégèse par rapport aux énoncés de foi est récente (4), plus récente que la prise de conscience de l’autonomie de la raison par rapport à la foi. Les philosophes ne l’ont pas encore intégrée dans leur travail de réflexion. Cela m’amène à ma deuxième question naïve : le dialogue entre christianisme et philosophie se situe dans un champ clôturé par les dogmes. Les plus talentueux, les plus bienveillants comme Luc Ferry, s’efforcent d’élargir, de repousser un peu les murs de l’enclos. Mais ils se heurtent toujours à eux.
          Grâce aux progrès de l’exégèse, on pourrait imaginer une confrontation de la recherche philosophique non pas avec ce système clos sur lui-même, mais avec un homme, charismatique itinérant à une époque troublée, dont le message original ne peut pas laisser les philosophes indifférents.

          Non pas Le Christ philosophe : mais l’homme Jésus, face aux philosophes.

          L’enseignement résolument non-philosophique, et même non-théologique (au sens courant) de ce juif du I° siècle, peut-il féconder la pensée philosophique dans sa recherche d’un sens pour nous, aujourd’hui ?
          Je n’ai pas la prétention de répondre. Dans les articles suivants, je me risquerai seulement à poser cette troisième question naïve, en reprenant en exégète quelques-uns des exemples évangéliques évoqués par Luc Ferry.


                               M.B., 24 avril 2009

                                          (à suivre)

(1) Parmi ses livres, je cite entre ici l’avant-dernier, que je vous recommande : La tentation du christianisme, échange entre Lucien Jerphagnon et Luc Ferry (Grasset, 2009).
(2) Face au philosophe, je me sens un peu comme le pékin qui consulte sa montre, face à un orfèvre en mécanismes d’horlogerie.
(3) A ne pas confondre avec les événements de l’Histoire – mais ceci est une autre question !
(4) Noyé dans un verbiage trompeur d’ouverture, le Pape Benoît XVI vient de condamner l’exégèse historico-critique au profit de l’exégèse allégorique : voir son Discours aux Bernardins (cliquez).

Tempête en monde musulman (Printemps arabe)

          « Je ne crois pas que les livres puisent changer le monde. Mais lorsque le monde commence à changer, alors il se cherche un livre nouveau » (1)

            Après l’écroulement de l’éphémère royaume de David-Salomon, pendant leurs années d’exil à Babylone, les tribus juives ont cherché comment elles pouvaient survivre, c’est-à-dire se donner une identité dans un monde en changement.

          Qu’ont fait les juifs anéantis, noyés  au milieu d’un peuple inconnu ? Ils ont écrit un livre, la Bible.

          La Bible est (en partie) la façon dont le peuple juif s’est donné une existence parmi les peuples, en relisant son passé mythique pendant et après l’Exil.

           Dans un Empire romain fragilisé par son immensité, des juifs de la diaspora grecque ont voulu créer un monde nouveau qui prendrait le pouvoir de l’intérieur, par la diffusion d’une religion nouvelle. Le christianisme est né au milieu des soldats romains, des esclaves et des affranchis. Dans ce monde mouvant c’était une révolte des jeunes, des pauvres qui n’avaient rien à perdre, contre la classe établie, vieillie, fatiguée, ayant perdu tout idéal.

          Qu’ont-ils fait ? Ils ont écrit un livre, ou plutôt quatre – les Évangiles –, et des lettres.

           Dans une oasis arabe enrichie par le commerce sud-nord, un jeune Qoraysh a voulu sortir du lot. Exilé à Médine par ses coreligionnaires, il a d’abord guerroyé contre eux, puis contre les juifs de la diaspora locale, et enfin contre l’Empire chrétien de Byzance.

          Comment a-t-il pris le pouvoir ? En écrivant un livre, le Coran.

           Trois livres, qui ont changé le monde quand ils ont été écrits.

          Ou plutôt, qui ont été écrits au moment où le monde changeait autour de leurs protagonistes, et qu’ils se sont cherchés un livre pour accompagner, puis provoquer ce changement.

           Encore aujourd’hui, la Bible sert d’alibi aux sionistes pour justifier leur occupation illégale et meurtrière de la Palestine.

           Après avoir été sa colonne vertébrale pendant 17 siècles, le livre des Évangiles a été oublié par l’Occident, oubli qui s’accompagne chez lui d’une crise d’identité sans précédent.

           Quelle que soit leur sensibilité, leur engagement politique, leur ouverture d’esprit, leur bienveillance ou leur agressivité, le Coran reste aujourd’hui pour tous les musulmans une référence fondatrice de leur identité.

           Contrairement aux juifs et aux chrétiens, jamais les musulmans n’ont accepté de faire une lecture historico-critique du livre qui a accompagné, pour eux, la naissance d’un monde nouveau.

          Mettre en doute la valeur divine des paroles du Coran, c’est un blasphème puni de mort (2). Il n’y a qu’une seule lecture autorisée du Coran, elle a été précisée au cours des siècles par une tradition de plus en plus fondamentaliste, et les rares voix arabes qui ont tenté récemment de s’ouvrir à une autre forme de lecture ont été étouffées.

           Or, si l’on en croit nos médias, la révolte qui secoue l’un après l’autre les pays arabes a ceci de tout à fait nouveau : ce n’est pas un mouvement lancé par les mosquées, mais par une jeunesse qui a su se servir d’Internet.

          Facebook et Ipad ont pris la place des muezzins.

          Passant par-dessus le clergé chiite ou les imams sunnites alliés des pouvoirs en place, ces jeunes, sentant qu’ils n’avaient plus d’avenir, semblent s’être unis virtuellement pour ouvrir une brèche dans un establishment arabe qu’on croyait incapable à jamais de s’extirper du Moyen âge.

           Est-ce un frémissement voué à s’éteindre dans la répression ou la lassitude, comme tant d’autres ? Ou bien une fissure capable de s’élargir ? De créer une façon nouvelle de vivre en pays islamique, pour la première fois dégagée de l’emprise des dignitaires religieux ?

           L’avenir le dira.

          Si ces révoltes continuent dans ce sens, des questions se poseront. Quelle place pour le Coran dans une société qui aura appris à communiquer librement, sans se référer à lui ? Les arabes oublieront-ils un jour leur livre fondateur, comme les chrétiens ont oublié le leur ?

           Comme les occidentaux, se chercheront-ils alors un « livre » nouveau, c’est-à-dire une identité dans laquelle le Coran ne sera plus guère qu’une référence culturelle ? Nous rejoindront-ils dans une crise d’identité semblable à la nôtre ?

           Et nous occidentaux, dans ce monde qui change, quel « livre » nouveau chercher pour nous retrouver nous-mêmes ?

          Je continue à croire que la personne de Jésus, ses gestes, son enseignement authentique, si originaux qu’ils n’ont jamais été imités ni mis en pratique par nous, pourraient être ce « livre ».

          Utopie, rêve pieux ?

           Mais Jésus n’est pas un livre, et les livres qu’on a écrits à sa mémoire sont (en partie) bien différents de ce qu’il était en vérité.

          Aller à sa recherche, rencontrer une personne et non un ensemble de vérités, un vivant et non des dogmes, est-ce possible, pour une société ?

         L’expérience montre que les livres ne changent pas le monde, pas pour toujours

           Mais une ou quelques personnes, oui, peut-être.

                                                        M.B., 24 février 2011

 (1) Shlomo SAND, Comment le peuple juif fut inventé.

(2) Voir dans ce blog la rubrique L’islam en questions,

Vient de paraître « JÉSUS ET SES HÉRITIERS, mensonges et vérités ».

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                      (150 pages)
                       
     Paru en mars 2006, Le secret du treizième apôtre a été inscrit sur la liste des best seller pendant plusieurs semaines, puis traduit en 18 langues étrangères. Il vient d’être édité dans le Livre de Poche.

     Très vite, d’Espagne, d’Italie, d’Angleterre, on m’a demandé : « Y a-t-il une vérité historique derrière ce roman ? Où s’arrête l’Histoire, où commence la fiction ? »

     Pour répondre à cette question, j’ai d’abord écrit une notice de 30 pages. Qui m’a vite semblé insuffisante : je l’ai amplifiée, et voici le résultat.

     Dieu malgré lui avait été écrit entre 1995 et 2000 : depuis, la recherche a beaucoup progressé. Si je devais refaire aujourd’hui cet essai, le fond en serait le même. Mais j’apporterais quantité de précisions, en le situant mieux dans le contexte de la « quête du Jésus historique ».
     C’est ce qui est fait dans Jésus et ses héritiers.

     Encore un livre sur Jésus ? Non. A l’éclairage direct, j’ai préféré l’indirect. 
     Que savons-nous d’historiquement fiable sur l’entourage du prophète Galiléen, sa famille, ses apôtres, le mystérieux treizième apôtre ? 
     Qui était Judas ? Est-il mort suicidé, ou bien… assassiné, et alors par qui ? Pierre fut-il l’Honnête Homme qu’on cherche à nous présenter dans le Nouveau Testament ? 
     Marie Madeleine enfin :  a-t-elle été l’amante de Jésus ? Si non, d’où vient la légende ?
     Sur tous ces personnages devenus légendaires, que disent les textes ? Écrite par les vainqueurs d’un combat pour la mémoire qui dura cinq siècles, l’Histoire qu’enseignent nos catéchismes, que répandent les romanciers, est-elle véridique ?

     Les lecteurs du Secret du treizième apôtre trouveront ici, en quelques pages, réponses à toutes leurs questions sur l’arrière-plan historique du roman. Du moins, ce qui concerne les événements du 1° siècle et du début du 2° siècle.

     En Histoire, il n’y a pas de vérités définitives : il n’y a que des hypothèses, de plus en plus affinées.
     Jésus et ses héritiers est une contribution sur ce qu’on peut dire, aujourd’hui, du mythe fondateur de notre civilisation.

                                M.B., 4 février 2008

Michel Benoit, Daniel Marguerat et Jésus : un article en Suisse.

          Lu dans Le Matin Dimanche, Genève, 21 Déc. 2008 :

                    Le Vatican dit-il la vérité ?

           Mode : Les églises se vident, sauf à Noël et à Pâques, et pourtant les libraires n’ont jamais autant vendu de livres sur le Christ. Pour la première fois depuis vingt siècles, cette figure a complètement échappé au contrôle des religieux et vit une nouvelle existence romanesque. Faut-il s’en réjouir ? Et quelles seront les conséquences de ce phénomène pour la chrétienté ?

                                     (par Jocelyn ROCHAT)

Après 17 siècles de contrôle féroce, le Christ a fini par échapper à la surveillance jalouse des Églises. Progressivement récupéré par les historiens dès 1778, Jésus est désormais tombé dans le domaine public. Le voici même, selon la formule de l’historien Michel Benoît, « devenu un people », comme Nicolas Sarkosy ou Paris Hilton.
          Grâce, ou à cause de Dan Brown et de son « Da Vinci Code« , on s’interroge sur la vie sexuelle de Jésus (a-t-il épousé Marie-Madeleine, lui a-t-il fait un enfant ?). Grâce, ou à cause de Mel Gibson, nous avons vu sur écran géant les détails les plus sanglants de sa Passion.

          La montre de Jésus

« Et si Jésus avait porté une montre comme notre président, on voudrait en connaître la marque », ironise le Français Michel Benoît. Pourtant l’historien est très loin de regretter cet intérêt pour le Jésus people. « Nous assistons à un phénomène nouveau. A travers des films et des romans à succès, un vaste public s’habitue à entendre parler de Jésus autrement, et il en redemande.

          A l’entendre, cette curiosité des foules pour un Jésus plus intime serait « une bonne nouvelle. Même si les réponses des romanciers ou des scénaristes sont souvent simplistes ou mensongères, ces nouveaux récits posent quand même la bonne question au grand public : qui était ce Jésus, sur lequel s’est construite l’identité culturelle de l’Occident ?Désormais, les gens se sentent autorisés à réclamer un droit d’inventaire, sans tabou. On peut s’interroger sur tout, et on ne se prive pas »

          « Enfin ! , s’exclame Daniel Marguerat, l’expert Lausannois du Jésus historique. Enfin le grand public se pose des questions sur Jésus et perd un peu de sa naïveté »
          Les deux chercheurs s’accordent cependant pour penser que cette nouvelle médiatisation est une arme à double tranchant. « Il faut se battre sur deux fronts : face à l’Église et face aux fausses pistes imaginées par des romanciers à succès mais peu sérieux », précise Michel Benoît. Question d’actualité, en cette période de Noël, la composition (contestée dans le camp catholique) de la Sainte Famille.

          Une histoire de fratrie

Jésus avait-il, oui ou non, des frères et soeurs ? « Si l’on consulte les évangiles, les données sont d’une évidence aveuglante : autant Marc que Matthieu, Luc et Jean mentionnent leur existence. Cette question a été contestée pour des raisons qui n’ont rien à voir avec l’Histoire », assure Daniel Marguerat.
          D’accord sur le côté utile de ce Jésus people qui passionne les foules à une époque où les Églises se vident, les deus experts divergent, en revanche, sur les conséquences de cet intérêt pour l’homme Jésus.
          Pour Michel Benoît, « les populations européennes éduquées d’aujourd’hui n’acceptent plus aussi facilement de croire à des choses inimaginables, par exemple l’histoire d’une vierge qui a eu un enfant en restant vierge avant, pendant et après, et elles devraient prendre leurs distances avec les Églises »
          Pour le protestant Daniel Marguerat, en revanche, « chercher à connaître le Jésus de l’Histoire n’est pas hostile à la foi. Il est utile pour les croyants de découvrir qui fut cette personne humaine en laquelle Dieu s’est incarné »

          QUI ÉTAIT « LE DISCIPLE QUE JÉSUS AIMAIT » ?

C’est l’une des grandes questions « people », chère aux romanciers, et qui ouvre des perspectives théologiques fascinantes. L’évangile de Jean nous parle à plusieurs reprises du « disciple préféré de Jésus », mais ne lui donne pas de nom. On apprend notamment que, sur la croix, Jésus lui aurait confié sa mère.
          Pendant longtemps, les théologiens ont pensé qu’il s’agissait de l’apôtre Jean. Une théorie contestée dans de nombreux romans à succès. Dan Brown imagine ainsi dans son « Da Vinci Code » que ce disciple préféré était Marie-Madeleine. Et il en profite pour souligner le rôle très inhabituel accordé aux femmes qui suivaient Jésus.

          Auteur d’un autre best-seller international traduit en 18 langues, Michel Benoît donne des traits masculins à ce « disciple préféré ». Mais pas ceux de Jean. Dans Le secret du treizième apôtre  il le décrit comme un riche notable juif, qui résidait dans un beau quartier de Jérusalem et qui possédait la maison où fut célébré le dernier repas de Jésus.
           Selon lui, ce « préféré » savait que Jésus n’était pas un dieu fait homme, mais un humain inspiré. Une révélation qui pourrait faire vaciller le Vatican.

          Ce roman, sorti cette année au Livre de Poche, a été écrit par un auteur totalement atypique. Ancien moine bénédictin, Michel Benoît est théologien et docteur en Biologie. Il a quitté les Ordres en 1984, l’Église désapprouvant ses recherches sur la vie et la personnalité du Christ.
          Ce qui ne l’a pas empêché de poursuivre sa quête. Michel Benoît a aussi passé 5 ans proche du Vatican, et cette expérience a largement nourri son roman.

          Enfin et surtout, « Le secret du 13° apôtre » s’inspire largement des recherches de l’auteur, qu’il a défendues dans deux livres savants, aussi faciles à lire que troublants : Dieu malgré lui (2001) et Jésus et ses héritiers (2008)

UN NOUVEAU LIVRE DE MICHEL BENOIT : L’Évangile du treizième apôtre – Aux sources de l’Évangile selon saint Jean (I.)

Publié le par Michel Benoit

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            Quatre livres déjà parus (1) ont tiré de l’oubli un homme présent dans l’entourage de Jésus le nazôréen, que j’ai appelé le treizième apôtre dans Dieu malgré lui

          Pour conclure cette série, j’ai voulu mettre à disposition du public le long travail de recherche historique & exégétique qui a précédé l’écriture de ces ouvrages, et l’a rendue possible.

          Publié chez l’Harmattan, c’est un texte court (100 pages), de lecture facile malgré sa technicité.

           Voici sa présentation en couverture :

           Aucun des auteurs des quatre évangiles n’a connu Jésus personnellement.

          Aucun ? Peut-être pas. On sait maintenant qu’un treizième homme faisait partie de son entourage, le mystérieux disciple bien-aimé. Un treizième apôtre dont le témoignage oculaire est parvenu jusqu’à nous, grâce au récit d’un groupe peu connu, les nazôréens.

           Après avoir publié plusieurs ouvrages sur ce témoin capital gommé par l’Histoire, Michel Benoît cherche à exhumer ce récit actuellement enfoui dans l’Évangile selon saint Jean.

          Travail de restitution précis et minutieux, qui permet de découvrir un autre Jésus que celui des apôtres : Jésus avant le Christ. Son visage apparaît infiniment humain, démaquillé de tout ce que l’Église a plaqué sur lui pour en faire le fondateur du christianisme.

           Une approche qui renouvelle complètement notre compréhension d’un texte fondateur de l’Occident et de sa culture.

           Catholiques ou protestants, les spécialistes professionnels feront la moue devant cet essai : « Quoi ! Moins de mille pages, pas de notes compliquées, pas de langue de bois, pas d’énorme bibliographie ? Pas sérieux ! »

           C’est que la vulgarisation n’a rien de vulgaire. Elle suppose un grand respect du public non-spécialisé, une documentation considérable, un effort constant pour dire l’essentiel en peu de mots, et sans étalage d’érudition.

           Elle suppose surtout d’avoir lu et assimilé les travaux des chercheurs qui ont précédé : inutile de refaire tout le chemin qu’ils ont parcouru. Parmi d’autres, Boismard, Jeremias, Brown, Meier, sont les autorités sur lesquelles je me suis appuyé, pour faire progresser la recherche sur l’un des textes les plus commentés de l’Histoire du christianisme.

           « Le pédagogue, disait Socrate, est celui qui aide à poser les bonnes questions ». Puisse cet essai vous donner à penser, vous aider à chercher, stimuler votre réflexion et votre méditation. Ouvrir des portes, vous donner enfin un outil de plus pour partir à la découverte d’un témoin capital du mystère divin et de la nature humaine, le Juif Jésus.

                                Infos pratiques :

 Vous pouvez commander ce livre chez votre libraire, ou par Internet sur Amazon, ou encore directement sur le site de l’Harmattan, www.editions-harmattan.fr.

 Ou sur sa fiche dans ce site

http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=39464.

 Contact promotion chez l’éditeur : marianne.ravaud@harmattan.fr.

                                                 M.B., 17 février 2013

(1) Dieu malgré lui, Le secret du treizième apôtre, Jésus et ses héritiers, enfin Jésus, mémoires d’un Juif ordinaire (c’est Dans le silence des oliviers, paru en Livre de Poche sous ce nouveau titre fin mars 2013)

L’ÉVANGILE DU TREIZIÉME APOTRE (II) : une critique

          L’évangile du treizième apôtre commence à être lu, quelques critiques me parviennent.

          Voici l’une d’elles : « Votre texte tient très bien debout, mais c’est descriptif et sans message. On dirait que c’est écrit seulement pour se justifier, et corriger des inexactitudes ».

 Qu’est-ce que l’exégèse ?

           Pour la première fois, je publie un ouvrage d’exégèse.

          L’exégète se penche sur un texte du passé, né dans un contexte, une culture anciens et disparus, écrit dans une langue morte ou étrangère. Il cherche à comprendre ce que ce texte peut vouloir dire pour nous, dans notre contexte, notre culture actuelle et la langue que nous parlons.

          L’exégèse est une des disciplines de l’Histoire : de même que l’historien cherche la vérité des faits, l’exégète cherche la vérité des textes.

          C’est un archéologue des mots : après les avoir identifiés, il cherche à les comprendre en les replaçant dans la strate historique dont ils proviennent.

           Depuis un siècle et demi, les exégètes bibliques ont mis au point une panoplie d’outils, des critères de lecture qui se révèlent performants. J’en ai donné ailleurs la liste (cliquez), ils sont évalués dans le Tome I de J.P. Meier (1), ce sont eux que j’ai utilisés pour extraire du Quatrième Évangile, dit selon saint Jean, un texte enfoui, noyé dans ce monument fondateur du christianisme.

 Une reconstitution ?

           Identifier, à l’intérieur de ce texte archiconnu, écrit par plusieurs mains anonymes au tournant du 1e siècle après J.C., un autre texte dont l’auteur serait le disciple bien-aimé de Jésus, qui n’est nommé que dans ce Quatrième Évangile.

          Pour procéder à cette extraction, créer de nouveaux outils, des critères de lectures adaptés à cette chirurgie-là, particulièrement délicate et fine.

          Est-ce de la chirurgie plastique, aboutit-on à un nouveau texte, reconstitué à partir de l’ancien ?

          Non, c’est un accouchement. Sorti de la maternité, le texte paraît nouveau parce qu’il a été débarrassé, nettoyé de l’amas de mots qui l’enveloppait et le rendait quasi-invisible dans ce placenta.

 Un nouvel évangile ?

           Les trois autres évangiles sont des ouvrages théologiques, et même polémiques.

          Des souvenirs, des paroles de Jésus ont été regroupés, triés, corrigés, amputés ou amplifiés, pour répondre à l’ambition des premiers chrétiens : créer une nouvelle religion, en inventant un nouveau dieu.

          Cela s’est fait progressivement : écrit le premier, Marc ne divinise pas encore Jésus, comme le feront plus tard Matthieu et Luc – qui déclare avoir soigneusement composé son texte.

          Chacun de ces trois évangéliste a inscrit sa théologie propre, en même temps que celle du milieu dans lequel (et pour lequel) il écrivait, non seulement en transformant plus ou moins certains dires et certains faits de Jésus, mais en les présentant de façon « ordonnée », comme le dit Luc.

          Or le texte que j’exhume du Quatrième Évangile n’a pas d’ordonnancement, pas de structure élaborée. C’est un recueil de quelques souvenirs d’un habitant de Jérusalem, qui témoigne de ce qu’il a vu et entendu lorsque Jésus quittait sa Galilée natale, pour monter dans la Ville de David.

          Le titre de mon petit livre est donc inexact : L’évangile du treizième apôtre aurait pu s’appeler Quelques souvenirs d’un témoin oculaire de Jésus à Jérusalem.

Une description

           Les lecteurs découvriront que ce qui est exceptionnel dans ce texte – à vrai dire, unique dans l’Histoire des Religions – c’est que l’auteur se contente de décrire ce qu’il a vu. Il se refuse absolument à toute interprétation morale, religieuse, philosophique ou théologique, des événements dont il a été le témoin, et de la personne qui est à l’origine et au centre de ces événements.

          Nous sommes tellement habitués, déformés par l’énorme édifice de pensées, de théories, de dogmes, de controverses qui collent depuis le début à la peau de Jésus, que nous voilà tout déconcertés. Quoi ? Ce disciple anonyme a vraiment rencontré personnellement Jésus, il a vraiment vu ce qu’il raconte, son témoignage est le seul de première main que nous possédions… et il n’en tire aucune conclusion, aucun message, aucune théorie, aucune théologie ?

          Eh non ! Il se contente de nous mettre en présence du Galiléen.

          Il semble avoir été tellement séduit, subjugué par l’homme qu’il voyait évoluer en Judée, dont il est sans doute devenu un ami proche, qu’il se refuse de nous dire autre chose que : « Venez, et voyez ».

 Une critique ?

           La critique de mon lecteur est donc le plus beau compliment qu’il pouvait me faire.

          Oui, ce livre est descriptif et sans message : au lecteur, et à lui seul, il appartient d’en tirer un message à sa taille. Ajouter mon message à l’absence de message du disciple bien-aimé, c’eût été le trahir (et trahir l’homme qu’il décrit) : c’eût été faire de la mauvaise exégèse.

          Oui, c’est une justification de tout ce que j’ai publié jusqu’ici : mes romans (cliquez et cliquez) sont tous nés de cette exégèse.

          Oui, c’est écrit pour corriger des inexactitudes : celles qui forment sur le visage de Jésus l’épais maquillage du dogme que nous connaissons, et qui nous étouffe.

           Prenez le temps de lire ces cent petites pages. « Venez, et voyez » : je n’ai pas cherché à voir à votre place.

                                                             M.B., 5 mars 2013

 Comment se procurer L’évangile du treizième apôtre : cliquez

 (1) John P. Meier, Un certain Juif, Jésus – (I) Les données de l’Histoire, Cerf, 2004.

APRÉS L’ÉMISSION « UN HOMME APPELÉ JÉSUS » sur France 2

          C’était forcément le « grand écart », et le réalisateur Roland Portiche le savait.

          Il savait qu’il ne fallait pas mécontenter les amateurs de mythes et de légendes, tout en ouvrant des fenêtres sur la réalité.

          Respecter les croyants, tout en laissant parler les chercheurs.

          Pari forcément inconfortable, mais pari réussi : une très belle émission, qui a réuni, un soir de départ en vacances, 4,9 millions de téléspectateurs devant l’écran.

          Jésus l’a presque emporté sur Obélix (même heure sur TF1).

           Le fil conducteur est fourni par les images tirées du film, déjà ancien, de Franco Zeffirelli. Un Jésus White Anglo Saxon Protestant d’Hollywood, propre à rassurer nos vieux et enchanter nos enfants. Mais les images de Zeffirelli sont belles, et juste après on nous montre la reconstitution saisissante de ce à quoi pouvait ressembler réellement un Juif contemporain de Jésus.

          Sur ce canevas, R. Portiche a laissé s’exprimer une dizaine d’historiens et exégètes. Tous l’ont fait sans passion, avec rigueur et mesure.

          Tous, sauf un.

           J’ai publié dans ce blog deux articles sur le livre Jésus de l’inénarrable Jean-Christian Petitfils (cliquez et cliquez). Historien de talent (il l’a montré dans un excellent Louis XVI, (cliquez), il perd tout contrôle dès lors qu’il s’agit de Jésus. Oublie ce qu’est le rigoureux travail de l’historien, ignore la critique textuelle, mélange tout pour se faire le porte-parole des catholiques piétistes et fondamentalistes.

          En vrac, il justifie la réalité historique du massacre des Innocents, de l’étoile de Bethléem, fait sans hésiter du dernier repas de Jésus une eucharistie, de sa souffrance « un mystère qui sauve l’humanité », puis s’enflamme en vue du Suaire de Turin (cliquez)… Tout cela est affligeant, plus que les interventions du cardinal Vingt-trois qui est dans son rôle en répétant sa leçon.

           Fort heureusement les autres intervenants font vite oublier ce miel de sacristie. Avec compétence, ils contredisent et corrigent ces propos, dans une convergence de vues d’autant plus frappante qu’ils ne se sont aucunement concertés. Particulièrement appréciables les contributions de Raphaël Draï, professeur à Science-Po qui parle du Juif Jésus en Juif laïc, averti et apaisé (« pour tout Juif, la mort n’est pas une fin »). De Michel Quesnel, prêtre et doyen de faculté théologique, qui n’hésite pas à faire part de ses doutes sur la version ‘’politiquement correcte’’. De Daniel Marguerat, fin connaisseur du Jésus historique, qui n’a qu’un moment d’hésitation au moment où il parle de la ‘’résurrection’’ (cliquez). Du rabbin Marc-Alain Ouakim, pour qui la guérison miraculeuse est d’abord la redécouverte de « la foi en soi-même », de « la force d’exister ».

           Particulièrement intéressantes les vues des fouilles récentes sur les sites de Nazareth, Sepphoris, Capharnaüm (on voit la synagogue où Jésus enseigna !), Magdala, les deux piscines de Bethesda et Siloé, la barque si semblable à celle des apôtres pêcheurs du lac de Galilée. L’escalier du Temple, aux marches inégales pour canaliser la cohue…

           En préambule du film, Stéphane Bern dit qu’il en ressort l’image « d’un Jésus bien différent du catéchisme traditionnel ». Et en conclusion : « Entre la mort de Jésus et le début du christianisme, il s’est passé quelque chose de décisif. Oui, mais quoi ? Sans doute ne le saura-t-on jamais, car tout ne s’explique pas ».

          Certes, le besoin viscéral de mythes est inscrit dans nos gènes, comme en témoignent les peintures préhistoriques, et il ne s’explique pas. Mais on sait très bien aujourd’hui comment Jésus a été transformé en Dieu, son message de prophète juif en idéologie mondiale et conquérante.

          Seulement, ceci est une autre histoire…

           Après la diffusion, Roland Portiche m’a envoyé ce message :

          « Vous êtes sans doute frustré du peu que j’ai retenu de notre longue interview. Il fallait gérer des heures et des heures d’entretiens (une trentaine) très riches et un minutage qui, sans être négligeable (1h43), était tout de même limité. Le résultat est quand même là : cinq millions de français ont découvert hier soir une approche de Jésus un peu différente de celle à laquelle ils étaient habitués. Le but de l’émission n’était pas de TOUT dire en une seule soirée, mais de donner envie au public d’en savoir plus ».

           Frustré ? Sûrement pas. Vous avez ouvert des portes. Vous avez posé des questions : ceux qu’elles intéressent iront lire nos livres, qui sont indiqués sur votre site. Ils verront une fois de plus que tout, dans ce qui est enseigné officiellement, n’est pas toujours vrai.

          Et s’ils découvrent derrière l’icône de la tradition un homme exceptionnel, qui a beaucoup à nous apporter en ces temps de désespérance, vous aurez gagné votre pari.

           Enfin, vous aurez montré ce qu’est la vraie laïcité, puisque vous laissez parler de leurs convictions intimes et irrationnelles un cardinal, un J.C. Petitfils, à côté de chercheurs attachés à la vérité des faits, insatisfaits par nature et par profession.

           Votre émission fait honneur au Service Public.

                                        M.B., 8 mai 2013

 On peut la revoir, avec bibliographies, en cliquant sur

http://www.france2.fr/emissions/secrets-d-histoire/diffusions/07-05-2013_53553